III

Vous pour qui s’est versé le sang expiatoire,

Bénissez le Seigneur, louez l’heureux Sombreuil ;

Celui qui monte au ciel, brillant de tant de gloire,

N’a pas besoin de chants de deuil !

Bannis, on va vous rendre enfin une patrie ;

Captifs, la liberté chérie

Se montre à vous dans l’avenir.

Oui, de vos longs malheurs chantez la fin prochaine ;

Vos prisons vont s’ouvrir, on brise votre chaîne ;

Chantez ! votre exil va finir.

En effet, — des cachots la porte à grand bruit roule,

Un étendard paraît, qui flotte ensanglanté ;

Des chefs et des soldats l’environnent en foule,

En invoquant la liberté !

« Quoi ! disaient les captifs, déjà l’on nous délivre !… »

Quelques-uns s’empressent de suivre

Les bourreaux devenus meilleurs.

« Adieu, leur criait-on, adieu, plus de souffrance ;

Nous nous reverrons tous, libres, dans notre France ! »

Ils devaient se revoir ailleurs.

Bientôt, jusqu’aux prisons des captifs en prières,

Arrive un sourd fracas, par l’écho répété ;

C’étaient leurs fiers vainqueurs qui délivraient leurs frères,

Et qui remplissaient leur traité !

Sans troubler les proscrits, ce bruit vint les surprendre ;

Aucun d’eux ne savait comprendre

Qu’on pût se jouer des serments ;

Ils disaient aux soldats : « Votre foi nous protège ; »

Et, pour toute réponse, un lugubre cortége

Les traîna sur des corps fumants !

Le jour fit place à l’ombre et la nuit à l’aurore,

Hélas ! et, pour mourir traversant la cité,

Les crédules proscrits passaient, passaient encore,

Aux yeux du peuple épouvanté !

Chacun d’eux racontait, brûlant d’un sain délire,

À ses compagnons de martyre

Les malheurs qu’il avait soufferts ;

Tous succombaient sans peur, sans faste, sans murmure,

Regrettant seulement qu’il fallût un parjure

Pour les immoler dans les fers.

À coups multipliés la hache abat les chênes.

Le vil chasseur, dans l’antre ignoré du soleil,

Égorge lentement le lion dont ses chaînes

Ont surpris le noble sommeil.

On massacra longtemps la tribu sans défense.

À leur mort assistait la France,

Jouet des bourreaux triomphants ;

Comme jadis, aux pieds des idoles impures,

Tour à tour, une veuve, en de longues tortures,

Vit expirer ses sept enfants.

C’étaient là les vertus d’un sénat qu’on nous vante !

Le sombre esprit du mal sourit en le créant ;

Mais ce corps aux cent bras, fort de notre épouvante,

En son sein portait son néant.

Le colosse de fer s’est dissous dans la fange.

L’anarchie, alors que tout change,

Pense voir ses œuvres durer ;

Mais ce Pygmalion, dans ses travaux frivoles,

Ne peut donner la vie aux horribles idoles

Qu’il se fait pour les adorer.

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