À M. Ulric Guttinguer. Ode huitième. L’Homme heureux.

Beatus qui non prosper  !

« Je vous abhorre, ô dieux ! Hélas ! Si jeune encore,

Je puis déjà ce que je veux !

Accablé de vos dons, ô dieux, je vous abhorre.

Que vous ai-je donc fait pour combler tous mes vœux ?

« Du détroit de Léandre aux colonnes d’Alcide,

Mes vaisseaux parcourent les mers ;

Mon palais engloutit, ainsi qu’un gouffre avide,

Les trésors des cités et les fruits des déserts.

« Je dors au bruit des eaux, au son lointain des lyres,

Sur un lit aux pieds de vermeil ;

Et sur mon front brûlant appelant les zéphires,

Dix vierges de l’Indus veillent pour mon sommeil.

« Je laisse, en mes banquets, à l’ingrat parasite

Des mets que repousse ma main ;

Et, dans les plats dorés, ma faim que rien n’excite

Dédaigne des poissons nourris de sang humain.

« Aux bords du Tibre, aux monts qui vomissent les laves,

J’ai des jardins délicieux ;

Mes domaines, partout couverts de mes esclaves,

Fatiguent mes coursiers, importunent mes yeux.

« Je vois les grands me craindre et César me sourire ;

Je protège les suppliants ;

J’ai des pavés de marbre et des bains de porphyre ;

Mon char est salué d’un peuple de clients.

« Je m’ennuie au forum, je m’ennuie aux arènes ;

Je demande à tous : Que fait-on ?

Je fais jeter par jour un esclave aux murènes,

Et je m’amuse à peine à ce jeu de Caton.

« Les femmes de l’Europe et celles de l’Asie

Touchent peu mon cœur déjà mort ;

Dans une coupe d’or l’ennui me rassasie,

Et le pauvre qui pleure est jaloux de mon sort !

« D’implacables faveurs me poursuivant sans cesse,

Vous m’avez flétri dans ma fleur,

Dieux ! donnez l’espérance à ma froide jeunesse ;

Je vous rends tous ces biens pour un peu de bonheur. »

*

Dans le temple, traînant sa langueur opulente,

Ainsi parlait Celsus de sa couche indolente.

Il blasphémait ses dieux ; et, bénissant le ciel,

Un martyr expirait devant l’impur autel.

1822.

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