V

Voilà de quels dédains leurs âmes satisfaites

Accueilleraient, ami, Dieu même et ses prophètes !

Et puis, tu les verrais, vainement irrité,

Continuer, joyeux, quelque festin folâtre,

Ou pour dormir aux sons d’une lyre idolâtre

Se tourner de l’autre côté.

Mais qu’importe ! accomplis ta mission sacrée.

Chante, juge, bénis ; ta bouche est inspirée !

Le Seigneur en passant t’a touché de sa main ;

Et, pareil au rocher qu’avait frappé Moïse,

Pour la foule au désert assise,

La poésie en flots s’échappe de ton sein !

Moi, fussé-je vaincu, j’aimerai ta victoire.

Tu le sais, pour mon cœur ami de toute gloire,

Les triomphes d’autrui ne sont pas un affront.

Poëte, j’eus toujours un chant pour les poëtes ;

Et jamais le laurier qui pare d’autres têtes

Ne jeta d’ombre sur mon front !

Souris même à l’envie amère et discordante.

Elle outrageait Homère, elle attaquait le Dante.

Sous l’arche triomphale elle insulte au guerrier.

Il faut bien que ton nom dans ses cris retentisse ;

Le temps amène la justice :

Laisse tomber l’orage et grandir ton laurier !