Ce siècle, jeune encore, est déjà pour l’histoire
Presque une éternité de malheurs et de gloire.
Tous ceux qu’il a vus naître ont vieilli dans vingt ans.
Il semble, tant sa place est vaste en leur mémoire,
Qu’il ne peut achever ses destins éclatants
Sans fermer avec lui le grand cercle des temps.
Chez des peuples fameux, en des jours qu’on renomme,
Pour un siècle de gloire il suffisait d’un homme.
Le nôtre a déjà vu passer bien des flambeaux !
Il peut lutter sans crainte avec Athène et Rome :
Que lui fait la grandeur des âges les plus beaux ?
Il les domine tous, rien que par ses tombeaux !
À peine il était né, que d’Enghien sur la poudre
Mourut, sous un arrêt que rien ne peut absoudre.
Il vit périr Moreau ; Byron, nouveau Rhiga.
Il vit des cieux vengés tomber avec sa foudre
Cet aigle dont le vol douze ans se fatigua
Du Caire au Capitole et du Tage au Volga !
— « Qu’importe ? dit la foule. Ah ! laissons les tempêtes
Naître, grossir, tonner sur ces sublimes têtes ;
Pourvu que chaque jour amène son festin,
Que toujours le soleil rayonne pour nos fêtes,
Et qu’on nous laisse en paix couler notre destin,
Oublier jusqu’au soir, dormir jusqu’au matin !
« Que le crime s’élève et que l’innocent tombe,
Qu’importe ? — Des héros sont morts ? paix à leur tombe !
Et nous-mêmes… qui sait si demain nous vivrons ?
Quand nous aurons atteint le terme où tout succombe,
Nous dirons : Le temps passe ! et nous ignorerons
Quels vents ont amené l’orage sur nos fronts. »