II

Ne cherchons pas ce mot. — Alors, pourquoi, poëte,

Ne t’endormais-tu pas sur ta lyre muette ?

Pourquoi la mettre au jour et la prostituer ?

Pourquoi ton chant sinistre et ta voix insensée ?… —

C’est qu’il fallait à ma pensée

Tout un grand peuple à remuer.

Des révolutions j’ouvrais le gouffre immonde ?

C’est qu’il faut un chaos à qui veut faire un monde ;

C’est qu’une grande voix dans ma nuit m’a parlé ;

C’est qu’enfin je voulais, menant au but la foule,

Avec le siècle qui s’écoule

Confronter le siècle écoulé.

Le génie a besoin d’un peuple que sa flamme

Anime, éclaire, échauffe, embrase comme une âme.

Il lui faut tout un monde à régir en tyran.

Dès qu’il a pris son vol du haut de la falaise,

Pour que l’ouragan soit à l’aise,

Il n’a pas trop de l’océan !

C’est là qu’il peut ouvrir ses ailes ; là, qu’il gronde

Sur un abîme large et sur une eau profonde ;

C’est là qu’il peut bondir, géant capricieux,

Et tournoyer, debout dans l’orage qui tombe,

D’un pied s’appuyant sur la trombe,

Et d’un bras soutenant les cieux !

26 mai 1828.

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