Un autre avait dit : — « De ma race
Ce grand tombeau sera le port ;
Je veux, aux rois que je remplace,
Succéder jusque dans la mort.
Ma dépouille ici doit descendre !
C’est pour faire place à ma cendre
Qu’on dépeupla ces noirs caveaux.
Il faut un nouveau maître au monde ;
À ce sépulcre, que je fonde,
Il faut des ossements nouveaux.
« Je promets ma poussière à ces voûtes funestes.
À cet insigne honneur ce temple a seul des droits ;
Car je veux que le ver qui rongera mes restes
Ait déjà dévoré des rois.
Et lorsque mes neveux, dans leur fortune altière,
Domineront l’Europe entière,
Du Kremlin à l’Escurial,
Ils viendront tour à tour dormir dans ces lieux sombres,
Afin que je sommeille, escorté de leurs ombres,
Dans mon linceul impérial ! »
Celui qui disait ces paroles
Croyait, soldat audacieux,
Voir, en magnifiques symboles,
Sa destinée écrite aux cieux.
Dans ses étreintes foudroyantes,
Son aigle aux serres flamboyantes
Eût étouffé l’aigle romain ;
La Victoire était sa compagne ;
Et le globe de Charlemagne
Était trop léger pour sa main.
Eh bien ! des potentats ce formidable maître
Dans l’espoir de sa mort par le ciel fut trompé.
De ses ambitions c’est la seule peut-être
Dont le but lui soit échappé.
En vain tout secondait sa marche meurtrière ;
En vain sa gloire incendiaire
En tous lieux portait son flambeau ;
Tout chargé de faisceaux, de sceptres, de couronnes,
Ce vaste ravisseur d’empires et de trônes
Ne put usurper un tombeau !
Tombé sous la main qui châtie,
L’Europe le fit prisonnier.
Premier roi de sa dynastie,
Il en fut aussi le dernier.
Une île où grondent les tempêtes
Reçut ce géant des conquêtes,
Tyran que nul n’osait juger,
Vieux guerrier qui, dans sa misère,
Dut l’obole de Bélisaire
À la pitié de l’étranger.
Loin du sacré tombeau qu’il s’arrangeait naguère,
C’est là que, dépouillé du royal appareil,
Il dort enveloppé de son manteau de guerre,
Sans compagnon de son sommeil.
Et, tandis qu’il n’a plus de l’empire du monde
Qu’un noir rocher battu de l’onde,
Qu’un vieux saule battu du vent,
Un roi longtemps banni, qui fit nos jours prospères,
Descend au lit de mort où reposaient ses pères,
Sous la garde du Dieu vivant.