SCÈNE DEUXIÈME.

RUY BLAS, LA REINE.

LA REINE, entrant.

Don César!

RUY BLAS, se retournant avec un mouvement d’épouvante et fermant précipitamment la robe qui cache sa livrée.

Dieu! c’est elle!—Au piége horrible

Elle est prise!

Haut.

Madame!...

LA REINE.

Eh bien! quel cri d’effroi!

César...

RUY BLAS.

Qui vous a dit de venir ici?

LA REINE.

Toi.

RUY BLAS.

Moi?—Comment?

LA REINE.

J’ai reçu de vous...

RUY BLAS, haletant.

Parlez donc vite!

LA REINE.

Une lettre.

RUY BLAS.

De moi?

LA REINE.

De votre main écrite.

RUY BLAS.

Mais c’est à se briser le front contre le mur!

Mais je n’ai pas écrit, pardieu! j’en suis bien sûr!

LA REINE, tirant de sa poitrine un billet qu’elle lui présente.

Lisez, donc.

Ruy Blas prend la lettre avec emportement, se penche vers la lampe et lit.

RUY BLAS, lisant.

«Un danger terrible est sur ma tête.

«Ma reine seule peut conjurer la tempête...

Il regarde la lettre avec stupeur, comme ne pouvant aller plus loin.

LA REINE, continuant, et lui montrant du doigt la ligne qu’elle lit.

«En venant me trouver ce soir dans ma maison.

«Sinon, je puis perdu.»

RUY BLAS, d’une voix éteinte.

Ho! quelle trahison!

Ce billet!

LA REINE, continuant de lire.

«Par la porte au bas de l’avenue,

«Vous entrerez la nuit sans être reconnue.

«Quelqu’un de dévoué vous ouvrira.»

RUY BLAS, à part.

J’avais

Oublié ce billet.

A la reine, d’une voix terrible.

Allez-vous-en!

LA REINE.

Je vais

M’en aller, don César. O mon Dieu! que vous êtes

Méchant! qu’ai-je donc fait?

RUY BLAS.

O ciel! ce que vous faites?

Vous vous perdez!

LA REINE.

Comment?

RUY BLAS.

Je ne puis l’expliquer.

Fuyez vite.

LA REINE.

J’ai même, et pour ne rien manquer,

Eu le soin d’envoyer ce matin une duègne...

RUY BLAS.

Dieu!—mais à chaque instant, comme d’un cœur qui saigne,

Je sens que votre vie à flots coule et s’en va.

Partez!

LA REINE, comme frappée d’une idée subite.

Le dévoûment que mon amour rêva

M’inspire. Vous touchez à quelque instant funeste.

Vous voulez m’écarter de vos dangers!—Je reste.

RUY BLAS.

Ah! Voilà, par exemple, une idée! ô mon Dieu!

Rester à pareille heure et dans un pareil lieu!

LA REINE.

La lettre est bien de vous. Ainsi...

RUY BLAS, levant les bras au ciel avec émotion.

Bonté divine!

LA REINE.

Vous voulez m’éloigner?

RUY BLAS, lui prenant les mains.

Comprenez!

LA REINE.

Je devine.

Dans le premier moment vous m’écrivez, et puis...

RUY BLAS.

Je ne t’ai pas écrit. Je suis un démon. Fuis!

Mais c’est toi, pauvre enfant, qui te prends dans un piége!

Mais c’est vrai! mais l’enfer de tous côtés t’assiége!

Pour te persuader je ne trouve donc rien?

Écoute, comprends donc, je t’aime, tu sais bien.

Pour sauver ton esprit de ce qu’il imagine,

Je voudrais arracher mon cœur de ma poitrine!

Oh! je t’aime. Va-t’en!

LA REINE.

Don César...

RUY BLAS.

Oh! va-t’en!

—Mais j’y songe, on a dû t’ouvrir?

LA REINE.

Mais oui.

RUY BLAS.

Satan!

Qui?

LA REINE.

Quelqu’un de masqué, caché par la muraille.

RUY BLAS.

Masqué! Qu’a dit cet homme? est-il de haute taille?

Cet homme, quel est-il? Mais parle donc! j’attends!

Un homme en noir et masqué paraît à la porte du fond.

L’HOMME MASQUÉ.

C’est moi!

Il ôte son masque. C’est don Salluste. La reine et Ruy Blas le reconnaissent avec terreur.

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