SCÈNE CINQUIÈME.

DON CÉSAR, DON GURITAN.

DON GURITAN, du fond du théâtre.

Don César de Bazan!

DON CÉSAR.

Il se retourne et aperçoit don Guritan et les deux épées.

Enfin! à la bonne heure!

L’aventure était bonne, elle devient meilleure.

Bon dîner, de l’argent, un rendez-vous,—un duel!

Je redeviens César à l’état naturel!

Il aborde gaîment, avec force salutations empressées, don Guritan, qui fixe sur lui un œil inquiétant, et s’avance d’un pas roide sur le devant du théâtre.

C’est ici, cher seigneur. Veuillez prendre la peine

Il lui présente un fauteuil. Don Guritan reste debout.

D’entrer, de vous asseoir.—Comme chez vous,—sans gêne.

Enchanté de vous voir. Çà, causons un moment.

Que fait-on à Madrid? Ah! quel séjour charmant!

Moi, je ne sais plus rien, je pense qu’on admire

Toujours Matalobos et toujours Lindamire.

Pour moi je craindrais plus, comme péril urgent,

La voleuse de cœurs que le voleur d’argent.

Oh! les femmes, monsieur! Cette engeance endiablée

Me tient, et j’ai la tête à leur endroit fêlée.

Parlez, remettez-moi l’esprit en bon chemin.

Je ne suis plus vivant, je n’ai plus rien d’humain,

Je suis un être absurde, un mort qui se réveille,

Un bœuf, un hidalgo de la Castille-Vieille.

On m’a volé ma plume et j’ai perdu mes gants.

J’arrive des pays les plus extravagants.

DON GURITAN.

Vous arrivez, mon cher monsieur? Eh bien, j’arrive

Encor bien plus que vous!

DON CÉSAR, épanoui.

De quelle illustre rive?

DON GURITAN.

De là-bas, dans le Nord.

DON CÉSAR.

Et moi, de tout là-bas,

Dans le Midi.

DON GURITAN.

Je suis furieux!

DON CÉSAR.

N’est-ce pas?

Moi je suis enragé!

DON GURITAN.

J’ai fait douze cents lieues!

DON CÉSAR.

Moi, deux mille! j’ai vu des femmes jaunes, bleues,

Noires, vertes. J’ai vu des lieux du ciel bénis,

Alger, la ville heureuse, l’aimable Tunis,

Où l’on voit, tant ces Turcs ont des façons accortes,

Force gens empaillés accrochés sur les portes.

DON GURITAN.

On m’a joué, monsieur!

DON CÉSAR.

Et moi, l’on m’a vendu!

DON GURITAN.

L’on m’a presque exilé!

DON CÉSAR.

L’on m’a presque pendu!

DON GURITAN.

On m’envoie à Neubourg, d’une manière adroite,

Porter ces quatre mots écrits dans une boîte:

«Gardez le plus longtemps possible ce vieux fou!»

DON CÉSAR, éclatant de rire.

Parfait! qui donc cela?

DON GURITAN.

Mais je tordrai le cou

A César de Bazan!

DON CÉSAR, gravement.

Ah!

DON GURITAN.

Pour comble d’audace,

Tout à l’heure il m’envoie un laquais à sa place.

Pour l’excuser, dit-il! Un dresseur de buffet!

Je n’ai point voulu voir le valet. Je l’ai fait

Chez moi mettre en prison, et je viens chez le maître.

Ce César de Bazan! cet impudent! ce traître!

Voyons, que je le tue? Où donc est-il?

DON CÉSAR, toujours avec gravité.

C’est moi.

DON GURITAN.

Vous!—raillez-vous, monsieur?

DON CÉSAR.

Je suis don César.

DON GURITAN.

Quoi!

Encor!

DON CÉSAR.

Sans doute encor!

DON GURITAN.

Mon cher, quittez ce rôle.

Vous m’ennuyez beaucoup si vous vous croyez drôle.

DON CÉSAR.

Vous, vous m’amusez fort. Et vous m’avez tout l’air

D’un jaloux. Je vous plains énormément, mon cher.

Car le mal qui nous vient des vices qui sont nôtres

Est pire que le mal que nous font ceux des autres.

J’aimerais mieux encore, et je le dis à vous,

Être pauvre qu’avare et cocu que jaloux.

Vous êtes l’un et l’autre au reste. Sur mon âme,

J’attends encor ce soir madame votre femme.

DON GURITAN.

Ma femme!

DON CÉSAR.

Oui, votre femme!

DON GURITAN.

Allons! je ne suis pas

Marié.

DON CÉSAR.

Vous venez faire cet embarras!

Point marié! Monsieur prend depuis un quart d’heure

L’air d’un mari qui hurle ou d’un tigre qui pleure,

Si bien que je lui donne, avec simplicité,

Un tas de bons conseils en cette qualité!

Mais si vous n’êtes pas marié, par Hercule,

De quel droit êtes-vous à ce point ridicule?

DON GURITAN.

Savez-vous bien, monsieur, que vous m’exaspérez?

DON CÉSAR.

Bah!

DON GURITAN.

Que c’est trop fort!

DON CÉSAR.

Vrai?

DON GURITAN.

Que vous me le pairez!

DON CÉSAR.

Il examine d’un air goguenard les souliers de don Guritan, qui disparaissent sous des flots de rubans selon la nouvelle mode.

Jadis on se mettait des rubans sur la tête.

Aujourd’hui, je le vois, c’est une mode honnête,

On en met sur sa botte. On se coiffe les pieds.

C’est charmant!

DON GURITAN.

Nous allons nous battre!

DON CÉSAR, impassible.

Vous croyez?

DON GURITAN.

Vous n’êtes pas César, la chose me regarde,

Mais je vais commencer par vous.

DON CÉSAR.

Bon. Prenez garde

De finir par moi.

DON GURITAN.

Il lui présente une des deux épées.

Fat! sur-le-champ!

DON CÉSAR, prenant l’épée.

De ce pas.

Quand je tiens un bon duel, je ne le lâche pas!

DON GURITAN.

Où!

DON CÉSAR.

Derrière le mur. Cette rue est déserte.

DON GURITAN, essayant la pointe de l’épée sur le parquet.

Pour César, je le tue ensuite!

DON CÉSAR.

Vraiment?

DON GURITAN.

Certe!

DON CÉSAR, faisant aussi ployer son épée.

Bah! l’un de nous deux mort, je vous défie après

De tuer don César.

DON GURITAN.

Sortons!

Ils sortent. On entend le bruit de leurs pas qui s’éloignent. Une petite porte masquée s’ouvre à droite dans le mur, et donne passage à don Salluste.

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