SCÈNE TROISIÈME.

DON CÉSAR, UN LAQUAIS.

DON CÉSAR, toisant le laquais de la tête aux pieds.

Qui venez-vous chercher céans, l’ami?

A part.

Il faut beaucoup d’aplomb, le péril est extrême.

LE LAQUAIS.

Don César de Bazan.

DON CÉSAR, dégageant son visage du manteau.

Don César! c’est moi-même!

A part.

Voilà du merveilleux!

LE LAQUAIS.

Vous êtes le seigneur

Don César de Bazan?

DON CÉSAR.

Pardieu! j’ai cet honneur.

César! le vrai César! le seul César! le comte

De Garo...

LE LAQUAIS, posant sur le fauteuil la sacoche.

Daignez voir si c’est là votre compte.

DON CÉSAR, comme ébloui.

A part.

De l’argent! c’est trop fort!

Haut.

Mon cher...

LE LAQUAIS.

Daignez compter.

C’est la somme que j’ai l’ordre de vous porter.

DON CÉSAR, gravement.

Ah! fort bien! je comprends.

A part.

Je veux bien que le diable...—

Çà, ne dérangeons pas cette histoire admirable.

Ceci vient fort à point.

Haut.

Vous faut-il des reçus?

LE LAQUAIS.

Non, monseigneur.

DON CÉSAR, lui montrant la table.

Mettez cet argent là-dessus.

Le laquais obéit.

De quelle part?

LE LAQUAIS.

Monsieur le sait bien.

DON CÉSAR.

Sans nul doute.

Mais...

LE LAQUAIS.

Cet argent,—voilà ce qu’il faut que j’ajoute,—

Vient de qui vous savez pour ce que vous savez.

DON CÉSAR, satisfait de l’explication.

Ah!

LE LAQUAIS.

Nous devons, tous deux, être fort réservés.

Chut!

DON CÉSAR.

Chut!!!—Cet argent vient...—la phrase est magnifique!

Redites-la moi donc.

LE LAQUAIS.

Cet argent...

DON CÉSAR.

Tout s’explique!

Me vient de qui je sais...

LE LAQUAIS.

Pour ce que vous savez.

Nous devons...

DON CÉSAR.

Tous les deux!!!

LE LAQUAIS.

Être fort réservés.

DON CÉSAR.

C’est parfaitement clair.

LE LAQUAIS.

Moi j’obéis. Du reste

Je ne comprends pas.

DON CÉSAR.

Bah!

LE LAQUAIS.

Mais vous comprenez!

DON CÉSAR.

Peste!

LE LAQUAIS.

Il suffit.

DON CÉSAR.

Je comprends et je prends, mon très-cher.

De l’argent qu’on reçoit, d’abord, c’est toujours clair.

LE LAQUAIS.

Chut!

DON CÉSAR.

Chut!!! ne faisons pas d’indiscrétion. Diantre!

LE LAQUAIS.

Comptez, seigneur!

DON CÉSAR.

Pour qui me prends-tu?

Admirant la rondeur du sac posé sur la table.

Le beau ventre!

LE LAQUAIS, insistant.

Mais...

DON CÉSAR.

Je me fie à toi.

LE LAQUAIS.

L’or est en souverains.

Bons quadruples pesant sept gros trente-six grains,

Ou bons doublons au marc. L’argent, en croix-maries.

Don César ouvre la sacoche et en tire plusieurs sacs pleins d’or et d’argent qu’il ouvre et vide sur la table avec admiration; puis il se met à puiser à pleines poignées dans les sacs d’or et remplit ses poches de quadruples et de doublons.

DON CÉSAR, s’interrompant avec majesté.

A part.

Voici que mon roman, couronnant ses féeries,

Meurt amoureusement sur un gros million.

Il se remet à remplir ses poches.

O délices! je mords à même un galion!

Une poche pleine, il passe à l’autre. Il se cherche des poches partout, et semble avoir oublié le laquais.

LE LAQUAIS, qui le regarde avec impassibilité.

Et maintenant j’attends vos ordres.

DON CÉSAR, se retournant.

Pourquoi faire?

LE LAQUAIS.

Afin d’exécuter, vite et sans qu’on diffère,

Ce que je ne sais pas et ce que vous savez.

De très-grands intérêts...

DON CÉSAR, l’interrompant d’un air d’intelligence.

Oui, publics et privés!!!

LE LAQUAIS.

Veulent que tout cela se fasse à l’instant même.

Je dis ce qu’on m’a dit de dire.

DON CÉSAR, lui frappant sur l’épaule.

Et je t’en aime,

Fidèle serviteur!

LE LAQUAIS.

Pour ne rien retarder,

Mon maître à vous me donne afin de vous aider.

DON CÉSAR.

C’est agir congrument. Faisons ce qu’il désire.

A part.

Je veux être pendu si je sais que lui dire.

Haut.

Approche, galion, et d’abord—

Il remplit de vin l’autre verre.

Bois-moi çà!

LE LAQUAIS.

Quoi, seigneur!

DON CÉSAR.

Bois-moi çà!

Le laquais boit, don César lui remplit son verre.

Du vin d’Oropesa!

Il fait asseoir le laquais, le fait boire, et lui verse de nouveau vin.

Causons.

A part.

Il a déjà la prunelle allumée.

Haut et s’étendant sur sa chaise.

L’homme, mon cher ami, n’est que de la fumée

Noire, et qui sort du feu des passions. Voilà.

Il lui verse à boire.

C’est bête comme tout ce que je te dis là.

Et d’abord la fumée, au ciel bleu ramenée,

Se comporte autrement dans une cheminée.

Elle monte gaîment, et nous dégringolons.

Il se frotte la jambe.

L’homme n’est qu’un plomb vil.

Il remplit les deux verres.

Buvons. Tous tes doublons

Ne valent pas le chant d’un ivrogne qui passe.

Se rapprochant d’un air mystérieux.

Vois-tu, soyons prudents. Trop chargé, l’essieu casse.

Le mur sans fondement s’écroule subitò.

Mon cher, raccroche-moi le col de mon manteau.

LE LAQUAIS, fièrement.

Seigneur, je ne suis pas valet de chambre.

Avant que don César ait pu l’en empêcher, il secoue la sonnette posée sur la table.

DON CÉSAR, à part, effrayé.

Il sonne!

Le maître va peut-être arriver en personne.

Je suis pris.

Entre un des noirs. Don César, en proie à la plus vive anxiété, se retourne du côté opposé comme ne sachant que devenir.

LE LAQUAIS, au nègre.

Remettez l’agrafe à monseigneur.

Le nègre s’approche gravement de don César, qui le regarde faire d’un air stupéfait; puis il rattache l’agrafe du manteau, salue et sort, laissant don César pétrifié.

DON CÉSAR, se levant de table.

A part.

Je suis chez Belzébuth, ma parole d’honneur!

Il vient sur le devant du théâtre et s’y promène à grands pas.

Ma foi, laissons-nous faire, et prenons ce qui s’offre.

Donc je vais remuer les écus à plein coffre.

J’ai de l’argent! que vais-je en faire?

Se tournant vers le laquais attablé, qui continue à boire et qui commence à chanceler sur sa chaise.

Attends, pardon!

Rêvant, à part.

Voyons,—si je payais mes créanciers?—fi donc!

—Du moins, pour les calmer, âmes à s’aigrir promptes

Si je les arrosais avec quelques à-comptes?

—A quoi bon arroser ces vilaines fleurs-là?

Où diable mon esprit va-t-il chercher cela?

Rien n’est tel que l’argent pour vous corrompre un homme,

Et, fût-il descendant d’Annibal qui prit Rome,

L’emplir jusqu’au goulot de sentiments bourgeois!

Que dirait-on? me voir payer ce que je dois!

Ah!

LE LAQUAIS, vidant son verre.

Que m’ordonnez-vous?

DON CÉSAR.

Laisse-moi, je médite.

Bois en m’attendant.

Le laquais se remet à boire. Lui continue de rêver, et tout à coup se frappe le front comme ayant trouvé une idée.

Oui!

Au laquais.

Lève-toi tout de suite.

Voici ce qu’il faut faire! Emplis tes poches d’or.

Le laquais se lève en trébuchant, et emplit d’or les poches de son justaucorps. Don César l’y aide tout en continuant.

Dans la ruelle, au bout de la Place-Mayor,

Entre au numéro neuf. Une maison étroite.

Beau logis, si ce n’est que la fenêtre à droite

A sur le cristallin une taie en papier.

LE LAQUAIS.

Maison borgne?

DON CÉSAR.

Non, louche. On peut s’estropier

En montant l’escalier. Prends-y garde.

LE LAQUAIS.

Une échelle?

DON CÉSAR.

A peu près. C’est plus roide.—En haut loge une belle

Facile à reconnaître, un bonnet de six sous

Avec de gros cheveux ébouriffés dessous,

Un peu courte, un peu rousse...—Une femme charmante!

Sois très-respectueux, mon cher, c’est mon amante!

Lucinda, qui jadis, blonde à l’œil indigo,

Chez le pape, le soir, dansait le fandango.

Compte-lui cent ducats en mon nom.—Dans un bouge,

A côté, tu verras un gros diable au nez rouge,

Coiffé jusqu’aux sourcils d’un vieux feutre fané

Où pend tragiquement un plumeau consterné,

La rapière à l’échine et la loque à l’épaule.

—Donne de notre part six piastres à ce drôle.—

Plus loin, tu trouveras un trou noir comme un four,

Un cabaret qui chante au coin d’un carrefour.

Sur le seuil boit et fume un vivant qui le hante.

C’est un homme fort doux et de vie élégante,

Un seigneur dont jamais un juron ne tomba,

Et mon ami de cœur, nommé Goulatromba.

—Trente écus!—Et dis-lui, pour toutes patenôtres,

Qu’il les boive bien vite et qu’il en aura d’autres.

Donne à tous ces faquins ton argent le plus rond,

Et ne t’ébahis pas des yeux qu’ils ouvriront.

LE LAQUAIS.

Après?

DON CÉSAR.

Garde le reste. Et pour dernier chapitre...

LE LAQUAIS.

Qu’ordonne monseigneur!

DON CÉSAR.

Va te soûler, bélître!

Casse beaucoup de pots et fais beaucoup de bruit,

Et ne rentre chez toi que demain—dans la nuit.

LE LAQUAIS.

Suffit, mon prince.

Il se dirige vers la porte en faisant des zig-zags.

DON CÉSAR, le regardant marcher.

A part.

Il est effroyablement ivre!

Le rappelant. L’autre se rapproche.

Ah!...—Quand tu sortiras, les oisifs vont te suivre.

Fais par ta contenance honneur à la boisson.

Sache te comporter d’une noble façon.

S’il tombe par hasard des écus de tes chausses,

Laisse tomber;—et si des essayeurs de sauces,

Des clercs, des écoliers, des gueux qu’on voit passer,

Les ramassent,—mon cher, laisse-les ramasser.

Ne sois pas un mortel de trop farouche approche.

Si même ils en prenaient quelques-uns dans ta poche,

Sois indulgent. Ce sont des hommes comme nous.

Et puis il faut, vois-tu, c’est une loi pour tous,

Dans ce monde, rempli de sombres aventures,

Donner parfois un peu de joie aux créatures.

Avec mélancolie.

Tous ces gens-là seront peut-être un jour pendus!

Ayons donc les égards pour eux qui leur sont dus!

—Va-t’en.

Le laquais sort. Resté seul, don César se rassied, s’accoude sur la table, et paraît plongé dans de profondes réflexions.

C’est le devoir du chrétien et du sage,

Quand il a de l’argent, d’en faire un bon usage.

J’ai de quoi vivre au moins huit jours! Je les vivrai.

Et s’il me reste un peu d’argent, je l’emploirai

A des fondations pieuses. Mais je n’ose

M’y fier, car on va me reprendre la chose.

C’est méprise sans doute, et ce mal adressé

Aura mal entendu, j’aurai mal prononcé...

La porte du fond se rouvre. Entre une duègne; vieille, cheveux gris, basquine et mantille noires; éventail.

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