L’Allemagne, au moment où elle venait de mettre sa complaisance et sa pensée en la vie héroïque du roi de Prusse, était mal préparée à susciter en elle-même, par une action spontanée, un mouvement révolutionnaire. Elle était troublée aussi par l’exemple de l’Empereur Joseph II, archiduc d’Autriche. C’est lui qui, tout le long de son règne, et jusqu’à sa mort, en 1790, prend l’initiative de réformes incessantes et hardies. C’est lui qui multiplie les écoles, limite la puissance de l’Eglise, saisit les biens des couvents, encourage le commerce et l’industrie, proclame la tolérance religieuse. Par lui aussi, l’Allemagne s’habitue à attendre le salut et le progrès de haut ; mais en lui aussi elle constate combien l’œuvre de réforme est malaisée. Malgré sa toute-puissance impériale malgré sa volonté inflexible, Joseph II se heurte sans cesse aux résistances du passé et les préjugés auxquels il veut faire violence se soulèvent contre lui. Les Pays-Bas s’insurgent pour garder la domination de leurs moines ; les multitudes fanatiques s’obstinent sous le joug de l’Eglise ; et les paysans ne secondent pas l’Empereur qui abolit les corvées. Ainsi, de l’effort impérial semblait sortir pour l’Allemagne une double leçon d’impuissance ; d’abord, parce que la politique de réforme était une politique d’autorité, faite de haut, et ensuite parce que, au service des réformes, même cette autorité se brisait. Que faire donc ? C’est en une grande tristesse et un grand doute que se résout pour les contemporains la vie inquiète, Agissante et inefficace de Joseph II. Wieland a traduit cette impression dans un écrit de mars 1790 :
« Un gouvernement où presque chaque jour était marqué par une nouvelle loi, par l’abolition systématique d’un abus ou par le commencement d’une entreprise — mais où en même temps (malgré une activité et un dévouement sans exemple d’un souverain qui voulait tout voir et tout diriger) il y a eu tant de lois prématurées et rendues impuissantes par des changements continuels, tant d’entreprises malheureuses et de pas rétrogrades que la postérité ne saura pas si elle doit admirer davantage l’inépuisable et infatigable génie du prince qui eut tant de grandes et bonnes pensées, ou s’étonner du caprice du mauvais génie qui travaillait avec tant d’acharnement et d’amertume contre tout ce à quoi il mettait la main... Qui, ayant un cœur, pourrait rester indifférent à cette double pensée ? Qui ne jettera pas ici un regard de tristesse sur le sort de l’humanité et sur la destinée des princes si étourdiment enviée ? »