L’APPEL DE LA RÉVOLUTION A L’EUROPE

C’est la Révolution, ce sont ses luttes contre la servitude universelle, ce sont ses appels passionnés et violents à la liberté de tous, qui ont préparé cette homogénéité de l’Europe. Quand, du haut des Alpes, la liberté jetait son cri d’aigle à l’univers et appelait à la liberté et à la vie « les nations encore à naître », elle annonçait cette sorte d’unité, de concordance politique et sociale qui caractérise l’Europe nouvelle. Quelles qu’aient été les imprudences, volontaires ou forcées, de la Révolution française, c’est là un résultat d’une incomparable grandeur.

Elle a adressé à toute l’humanité une sommation hautaine d’avoir à hâter le pas pour là rejoindre. Elle a animé, secoué, violenté les nations attardées. Elle les a obligées à sortir de l’ornière des siècles. Elle a rendu pour elles impossibles à jamais les somnolences et les lenteurs de l’ancien régime. Elle a précipité pour toutes le rythme de la vie. Elle a posé brutalement, et sous l’éclair d’orage des jours présents, des problèmes qui se développaient en quelques consciences d’élite avec une sorte de lenteur sacrée. Et sa proclamation de liberté aux peuples, si elle a l’éclat de cuivre des sonneries guerrières, en a aussi l’allégresse pressante et entraînante. Debout, peuples belgiques si lourdement endormis sous l’épais manteau catholique ! Debout, penseurs et étudiants d’Allemagne qui suivez du regard, au ciel profond de la Germanie, le vol lent des nuées pâles ! C’est une vive aurore qui éclate, une aube triomphante et rapide, une diane de Révolution !

« Le peuple français au peuple belge, ou au peuple allemand, ou au peuple...

Frères et amis,

Nous avons conquis la liberté, et nous la maintiendrons : nous offrons de vous faire part de ce bien inestimable, qui vous a toujours appartenu et que vos oppresseurs n’ont pu vous ravir sans crime. Nous avons chassé vos tyrans ; montrez-vous, hommes libres, et nous vous garantissons de leur vengeance, de leurs projets et de leur retour.

Dès ce moment, la nation française proclame la souveraineté du peuple, la suppression de toutes les autorités civiles et militaires, qui vous ont gouvernés jusqu’à ce jour et de tous les impôts que vous supportez, sous quelque forme qu’ils existent, l’abolition de la dîme, de la féodalité, des droits seigneuriaux, tant féodaux que censuels, fixes ou casuels, des banalités, de la servitude réelle et personnelle, des privilèges de chasse et de pêche, des corvées, de la gabelle, des péages, des octrois, et généralement de toute espèce de contributions dont vous avez été chargés par des usurpateurs ; elle proclame aussi l’abolition parmi vous de toute corporation nobiliaire, sacerdotale et autres, de toutes les prérogatives et privilèges contraires à la liberté. Vous êtes, dès ce moment, frères et citoyens, tous égaux en droits, et tous appelés également à gouverner, à servir et à défendre votre patrie.

Formez-vous sur-le-champ en assemblées primaires ou de communes ; hâtez-vous d’établir vos administrations et justices primaires, en vous conformant aux dispositions de l’article 3 du décret ci-dessus. Les agents de la République française se concerteront avec vous pour assurer votre bonheur et la fraternité qui, doit exister désormais entre nous. »

L’article 3 est celui qui, à la demande de Buzot, décide :

« Tous les agents et officiers civils ou militaires de l’ancien gouvernement, ainsi que les individus ci-devant réputés nobles ou membres de quelque corporation ci-devant privilégiée, seront, pour cette fois seulement, inadmissibles à voter dans les assemblées primaires ou communales, et ne pourront être élus aux places d’administration ou du pouvoir judiciaire primaire. »1

La phrase de la proclamation sur les corporations nobiliaire et sacerdotale n’était pas dans le premier projet de rédaction lu le 15 décembre. Elle fut introduite le 17 dans le texte définitif. Ainsi, c’est toute l’œuvre révolutionnaire que la France veut faire passer soudain dans la substance des peuples.

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