LA GIRONDE APPROUVE CAMBON

Chose curieuse ! ni la Gironde, ni Condorcet n’ont la franchise de reconnaître à quel point ce programme de Révolution imposée diffère du programme de Révolution spontanée qu’ils ont tracé d’abord. Condorcet surtout avait déclaré bien des fois, en des rapports solennels, que chaque peuple choisirait en toute liberté sa Constitution nouvelle et qu’aucune violence ne serait faite à ses préjugés. La guerre est à peine déclarée depuis six mois, et il est conduit à approuver le système de Cambon.

« Le discours de Cambon, écrit-il le 16 décembre dans la Chronique de Paris, étincelant de grandes vérités que la familiarité de son style rendait encore plus piquantes, l’énergique et noble simplicité de son débit ont obtenu des applaudissements universels. On croirait entendre le génie de la liberté et de l’égalité menaçant de leur destruction prochaine toutes les branches, tous les degrés de la tyrannie. »

Oui, mais Condorcet avait espéré d’abord que ces branches sécheraient et tomberaient d’elles-mêmes, et qu’il ne serait pas besoin de la hache de la France conquérante pour les retrancher, Brissot caractérise par une expression vaste le plan de Cambon :

« Au nom du Comité diplomatique, de la guerre et des finances, Cambon fait un rapport sur la conduite que doivent tenir nos généraux à l’égard des peuples, dont le territoire est occupé par les armées de la République, et il propose ensuite un projet de décret qu’on peut regarder (c’est Brissot qui souligne) comme l’organisation du pouvoir révolutionnaire universel. Les grands principes de liberté et de politique développés par le rapporteur ont fait d’autant plus d’impression qu’il les a exposés avec cette entraînante naïveté, cette simplicité énergique qui caractérisent l’orateur de la nature, lorsqu’il n’est pas corrompu et qu’il ne cherche pas à corrompre. »

L’animation de Cambon contre Robespierre et la Commune de Paris lui valait, à ce moment, les sympathies fleuries de la Gironde. Oui, c’est l’organisation du pouvoir révolutionnaire universel, et cela est grand. Mais c’est aussi, c’est surtout l’extension à l’univers du pouvoir révolutionnaire de la France ; et la Révolution obligée de suppléer par la force à l’insuffisante préparation des peuples risque de se heurter à des résistances stupides ou de blesser des susceptibilités nobles et de sublimes fiertés nationales. La Gironde, bien loin de pressentir ce danger, renchérit sur le plan de Cambon.

Buzot, préoccupé sans doute de démontrer aux Montagnards qu’il était plus « révolutionnaire » qu’eux, s’écrie qu’il ne suffit pas d’exiger des nouveaux administrateurs le serment à la liberté et à l’égalité et la renonciation de leurs privilèges. Les serments peuvent être éludés :

Je demande que toutes les personnes qui auront rempli les places dans les administrations anciennes n’en puissent obtenir de nouvelles ; je voudrais même qu’on étendît cette exclusion à tous les individus ci-devant nobles ou membres de quelque corporation ci-devant privilégiée. » (Applaudissements sur un grand nombre de bancs et murmures sur quelques autres).

Réal protesta : « La proposition de Buzot, s’écria-t-il, tendrait à créer chez ces peuples deux partis et à y allumer la guerre civile. »

Le dantoniste Basire s’élève aussi contre la motion de Buzot, au nom de la souveraineté des peuples qui doivent être pleinement libres dans leur choix. La Gironde le hue. Barbaroux s’écrie : « Je demande que Basire soit entendu, car il sera curieux de voir comment il défendra la noblesse et le clergé. »

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