FOX LUTTE CONTRE LE COURANT BELLIQUEUX

C’est dans cet esprit que luttait Fox, mais presque sans espoir, car la fureur des passions soulevées chez les deux peuples rendait presque impossible toute négociation sérieuse et sensée. C’est en vain que Fox, avec le plus noble courage, tentait de frayer cette voie moyenne. C’est en vain qu’il glorifiait les conquêtes de la liberté en France et désavouait les excès de la propagande. C’est en vain aussi qu’il tentait de ramener à de modestes proportions la question de l’Escaut.

Ses paroles irritaient, au lieu de l’apaiser, l’orgueil national tous les jours plus ombrageux. Il s’écriait, le 13 décembre 1792, dans le débat sur l’adresse : « L’honorable gentleman qui a soutenu la motion a jugé convenable de dire, comme preuve qu’il existe un esprit dangereux dans ce pays, que cet esprit s’est manifesté par l’attitude découragée et déprimée de certaines personnes quand les nouvelles de la reddition de Dumouriez arrivèrent en Angleterre. Voilà donc ce que l’on considère comme un signe de mécontentement et comme une préférence pour les doctrines républicaines ! Que des hommes soient tristes et abattus quand ils apprennent que les armées du despotisme ont triomphé d’une armée combattant pour la liberté, si cet abattement est la preuve que des hommes sont mécontents de la Constitution anglaise et ligués avec les étrangers pour la détruire, je me dénonce moi-même et je me livre comme un coupable à mon pays, car j’avoue librement, que lorsque j’entendis parler de la capitulation ou de la retraite de Dumouriez, lorsque j’appris la possibilité de la victoire des armées de l’Autriche et de la Prusse sur les libertés de la France, mon esprit fut triste et je fus abattu. Comment un homme qui aime la Constitution de l’Angleterre, qui en porte les principes dans son cœur, peut-il souhaiter le succès du duc de Brunswick après la lecture de son manifeste qui viole toutes les doctrines qu’un Anglais tient pour sacrées, qui foule aux pieds tout principe de justice, d’humanité, de liberté et de vrai gouvernement, et au nom duquel les armées coalisées entrèrent dans le royaume de France, où elles n’avaient rien à faire ? Et lorsqu’il parut que ces armées avaient des chances de succès, pouvait-il y avoir un seul homme ayant des sentiments anglais qui ne fût pas triste ? Je l’avoue hautement, je n’ai jamais éprouvé en ma vie une plus sincère tristesse et plus d’abattement, car je voyais, dans le triomphe de cette conspiration, non seulement la ruine de la liberté en France, mais la ruine de la liberté en Angleterre, la ruine de la liberté de l’homme. »

Il proclamait, le 14, la grandeur de la France : « Quiconque me prête l’opinion que l’agrandissement de la France est chose indifférente à mon pays, se méprend sur moi grossièrement. La France s’est certainement agrandie. Elle a déconcerté les prédictions de ce gentleman qui, durant la dernière session, en parlant des adversaires de la Grande-Bretagne sur le continent, s’est écrié :Il n’y a de danger d’aucun côté ; quand je regarde la carte de l’Europe j’y vois un vide autrefois appelé la France ». Ce vide, le gentleman doit avouer maintenant qu’il s’est rempli. Je ne veux point rappeler les traditions militaires des Français. Ils se sont souvent conduits de telle sorte que je crois que le pouvoir de la France peut être redoutable à notre pays. Elle était formidable sous la monarchie, quand elle était alliée à l’Espagne et l’amie de l’Autriche. Mais la France avec ses finances presque ruinées, la France en hostilité avec l’Autriche et pas certainement en amitié avec l’Espagne, est plus formidable maintenant : elle est plus formidable par ses libertés dont les effets dépassent tout calcul humain. Tous les habitants de l’Europe qui ont quelque intérêt à la cause de la liberté, sympathisent avec les Français et souhaitent leurs succès, parce qu’ils voient en eux des hommes qui luttent contre les tyrans et les despotes pour se donner un gouvernement libre. »

Sans doute il combattait la propagande armée, « cette tyrannie de donner la liberté par contrainte » (the tyranny of giving liberty by compulsion). Mais si, au lieu de se donner comme des libérateurs, les Français avaient prétendu simplement user du droit de conquête, quelle est la Cour d’Europe qui aurait le droit de leur jeter la pierre ?

« Les Etats de Brabant étaient un gouvernement libre et légal d’après les traités. Mais étaient-ils libres sous la maison d’Autriche, sous Joseph, Léopold ou François ? Oh ! oui, lorsque Dumouriez fit à Bruxelles une entrée triomphale et lorsque les gouverneurs autrichiens firent leur sortie par une poterne, ils laissèrent derrière eux une déclaration aux Etats restaurant leur grande charte, la joyeuse entrée, qui avait été le perpétuel sujet de dispute avec leur souverain : voilà le gouvernement qui agissait de façon si honorable avec ses sujets et qui prétend couvrir la France de honte ! »

Quant à l’ouverture de l’Escaut, la Hollande ne se plaint pas : de quel droit l’Angleterre serait-elle sur ce point plus susceptible que son alliée directement intéressée ? Mais les clameurs de colère et de haine grandissaient, et la tentative suprême de Fox demandant, le 16 décembre, qu’un ambassadeur fût envoyé en France, afin qu’une discussion courtoise réglât les différends et dissipât les malentendus, fut accueillie presque avec insulte. Burke, déchaîné, prêcha entre l’Angleterre et la France la guerre éternelle.

Littora littoribus contraria, fluctibus mutas.
Imprecor, arma armis : pugnent ipsique nepotes.

(Je soulève les rivages contre les rivages, les flots contre les flots, les armes contre les armes ; qu’ils combattent, eux et leurs descendants.)

Toute négociation officielle avec la France révolutionnaire fut dénoncée comme une honte et une contamination. Grey, Courtney, Sheridan tentèrent d’inutiles efforts contre la tempête. A la Chambre des lords, lord Grenville répondit au nom du ministère, avec une violence inaccoutumée, à lord Landsdowne, qui avait courageusement proposé l’envoi d’une ambassade auprès de la République française : « Ce serait, dit-il, une démarche dégradante et la dignité de la nation en serait souillée. »

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