L’EFFET DES VICTOIRES FRANÇAISES

C’est que les victoires de la France avaient brusquement modifié le point de vue de Pitt et démenti ses prévisions. Il ne voulait pas intervenir dans les affaires intérieures de la France et il avait tenu l’Angleterre à l’écart de la première coalition parce qu’il croyait que la France désorganisée, livrée à l’anarchie, succomberait à l’asaut des puissances européennes.

Ainsi, l’Angleterre, pour son action politique et surtout commerciale dans le monde, avait un double bénéfice, le bénéfice de la paix, qui lui permettait de produire beaucoup, et le bénéfice de l’abaissement de la France, rivale sur les marchés. Mais voici qu’au lieu d’être abaissée et affaiblie, la France de la Révolution abat les rois, refoule les armées ennemies, s’agrandit par la libre adhésion de la Savoie, pénètre en Allemagne, occupe la Belgique. Voici qu’en Belgique elle fait acte d’autorité et, brisant par sa seule volonté un traité qui liait plusieurs puissances, traité placé sous la protection de l’Angleterre, elle rend aux Belges la libre navigation de l’Escaut. Voici donc que la France déborde sur l’Europe et qu’il est à craindre qu’elle n’utilise, au profit de son commerce et de ses manufactures, la vaste influence qu’elle s’assure par la force des armes et par la propagande de ses principes. Si l’Angleterre n’intervient pas, si la Prusse et l’Autriche, déjà fatiguées sans doute de la lutte, sont abandonnées à elles-mêmes, la France retrouvera bientôt la paix, et une paix triomphante, rayonnante, qui fera d’elle, dans l’ordre économique, la rivale heureuse de l’Angleterre.

Bien mieux, au moment où la France semble près de se débarrasser par la victoire du fardeau de la Révolution, elle passe ce fardeau aux autres peuples ; elle le rejette sur l’Angleterre même qui voit son calme intérieur troublé, sa Constitution menacée, et qui, si elle ne se défend pas à temps, si elle n’écrase pas les germes de Révolution que les souffles orageux de France disséminent sur son sol, sera absorbée longtemps, au grand détriment de son industrie et de son commerce, par une crise politique et sociale que la France semble précisément surmonter.

Le péril était d’autant plus grand que la France ne se bornait point à agir par l’exemple, par la pure propagande des idées. Par son décret du 19 novembre, par son décret du 15 décembre, elle promettait son appui aux peuples qui se soulèveraient contre leur Constitution. Elle exaltait ainsi la Révolution universelle.

LE CAUCHEMAR DE L’ARISTOCRATIE
(D’après une estampe de la Bibliothèque Nationale)

Etait-il possible encore, en cette fin de 1792, de rapprocher la France et l’Angleterre ? Il aurait fallu trouver une sorte de compromis. Il aurait fallu que le gouvernement anglais rendît, pour ainsi dire, inoffensive la propagande révolutionnaire de la France, en prenant lui-même l’initiative d’une réforme démocratique du système politique de l’Angleterre. Et il aurait fallu que la France, renonçant à toute provocation révolutionnaire, à toute jactance et à toute intervention au dehors, donnât à l’Angleterre l’assurance que ses justes intérêts en Europe et les traités qui les garantissaient ne seraient point menacés. Sans doute l’ouverture de l’Escaut à la libre navigation ne blessait en rien les intérêts anglais immédiats ; mais elle témoignait de la facilité avec laquelle la France révolutionnaire substituait le droit international nouveau, fondé par elle, au droit positif des traités. Que des garanties fussent données à l’Angleterre contre l’entraînement des prétentions françaises et que l’Angleterre cessât de craindre, pour son régime intérieur, l’inévitable propagande de la Révolution en faisant une juste part à l’esprit de réforme et de démocratie, à ces conditions la paix pouvait encore être maintenue.

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