LES ILLUSIONS DES RÉVOLUTIONS DE PARIS

D’ailleurs sa politique de modération et de conciliation était bafouée en France comme en Angleterre. Je ne suis point surpris de trouver ce jugement sévère dans le journal les Révolutions de Paris (numéro du 1er au 6 décembre) ; car le grave journal croit que la Révolution va éclater en Angleterre et, naturellement, il n’a que du dédain pour ceux qui, comme Fox, se contenteraient d’une réforme.

« Commencement de révolution en Angleterre... Oui, le peuple anglais deviendra libre. Est-il permis d’en douter, puisqu’il veut être notre ami ? Pour devenir libre, il lui faut une révolution, eh bien ! il la fera ! Les symptômes en sont déjà sur tous les visages et la volonté dans tous les cœurs. En vain George et son ministre Pitt veulent conjurer l’orage, il gronde sur leurs têtes et ne tardera pas deux mois à éclater. Les moyens violents qu’ils emploient ne serviront qu’à hâter l’explosion, et ne feront pas, à coup sûr, rehausser les fonds qui sont baissés de 12 p. 100.

Des sociétés révolutionnaires s’étaient formées à Londres avec un club central de correspondance qui les liait entre elles et assurait le succès de leurs opérations. Des pamphlets vigoureux, lancés dans le public, préparaient les esprits à la première crise de révolution. Qu’a fait la Cour ? Elle a fait fermer tous les clubs par la force armée, elle a défendu de se rassembler, sous peine d’être traité en séditieux ; elle a interdit la faculté d’écrire, en ordonnant aux grand jurés et aux magistrats de faire poursuivre les auteurs de tous ouvrages révolutionnaires. Déjà le seul journaliste patriote qu’il y ait à Londres, Perry, auteur de l’Argus, a été obligé de s’enfuir en France, pour avoir conseillé au peuple de prendre les armes. Déjà beaucoup d’imprimeurs ont été arrêtés, et l’on instruit leur procès ; le peuple se souviendra qu’il y a cent mille mousquets dans la Tour de Londres.

L’inquisition la plus odieuse s’exerce sur les voyageurs et sur les livres ; on veut empêcher la circulation des journaux français ; le gouvernement tremble ; il voit s’approcher le moment de la crise et tâche de l’éloigner ; mais tous les efforts sont vains. L’armement très actif, commencé sous le prétexte de soutenir les Hollandais, mais en effet dirigé contre les Jacobins de France et d’Angleterre, n’aura pas seulement le temps de s’achever ; tout est prêt à Londres et en Ecosse ; il ne faut plus qu’une étincelle pour allumer l’incendie ; et telle doit être la marche de la révolution anglaise, que la Cour aura beau faire résistance ouverte ou prêter le flanc, rien ne peut empêcher cette révolution de s’accomplir ; il faut au peuple anglais une représentation nationale, l’exclusion de tous les privilèges, l’abolition de la royauté. Il n’y a qu’une manière d’être libre et la Constitution anglaise est un contre-sens en liberté.

Tous les aristocrates anglais conviennent bien que cette excel-lentissimeConstitution est vicieuse, qu’il y a de grands abus à réformer ; mais l’exemple de la France les effraie, ils voulaient endormir le peuple par un rapprochement de ce qu’on appelle les deux partis. Le ministre Pitt, et Fox, chef de l’opposition, qui ne vaut guère mieux que lui, ne sont pas éloignés de ce raccommodement ; s’il avait le malheur de s’effectuer, et qu’on s’en tînt là, on réformerait effectivement quelques abus, on réduirait quelques pensions, on donnerait une représentation à telle ou telle grande ville qui n’est pas représentée au Parlement et l’on diminuerait celle de tel hameau composé de six feux, dont le seigneur envoie deux députés, etc., etc..., et le roi resterait toujours le maître absolu de la force civile et militaire. Autant vaudrait se contenter de faire les ongles et les cheveux d’un malade qui aurait la gangrène aux viscères.

Non, non, il n’en sera pas ainsi. Si l’Angleterre doit être l’amie, l’alliée de la France, il faut qu’elle soit république comme elle. Il n’est pas de nation en Europe à qui, par ses mœurs et sa position, le régime démocratique soit plus propre. Elle sera donc une république. Après dix-huit siècles d’injustice et de tyrannie, on verra donc deux peuples voisins, que la détestable politique des Cours avaient longtemps rendus ennemis, réunis à la fin pour faire triompher sur tout le globe la cause de l’humanité, de la liberté. Français ! quel exemple vous avez donné ! Il est donc vrai que l’arrêt de mort de tous les tyrans est dans l’acte qui vous constitue républicains. »

Quelle épaisseur de sottise et de fanfaronnade ! Quelle ignorance des mœurs et du développement des autres peuples ! Songez que cela est écrit en décembre 1792, qu’à ce moment la France est engagée en Belgique, en Allemagne, en Italie ; que, malgré ses victoires, elle se heurte partout à des difficultés et à des défiances. Songez qu’il y a un intérêt de premier ordre pour elle et pour la Révolution elle-même, à ne pas épuiser dans une lutte sans fin ses ressources, son crédit et sa liberté même. Songez que la neutralité bienveillante ou l’alliance de l’Angleterre permettrait à la Révolution de dissoudre vite ces coalitions qui la menacent, de retrouver la paix, et, avec la paix, la détente des passions et des haines qui surexcitaient la Gironde et la Montagne. Il fallait faire un effort immense pour obtenir cette neutralité de l’Angleterre et voici qu’un des grands journaux, le plus pédant de tous, l’éternel donneur de conseils, somme l’Angleterre de devenir république ! Il ne lui suffit pas qu’elle réforme sa Constitution dans le sens de la démocratie. Il faut encore qu’elle ait sa journée du 10 août, qu’elle soit de point en point la plagiaire de la France. Ces fanfarons stupides s’émeuvent à la pensée qu’un accord pourrait intervenir entre Pitt et Fox ; or cet accord ne pourrait signifier qu’une chose : c’est que Pitt, sentant grandir dans une partie du pays, et à la Cour même, la politique de guerre, s’unirait à Fox pour y mieux résister. Dans cette hypothèse, Fox et Pitt auraient certainement rétabli les relations officielles avec la France, cherché un moyen d’entente avec elle. Ils lui auraient sans doute demandé d’interpréter dans un sens pacifique le décret inquiétant du 19 novembre et de renoncer à toute invasion en Hollande.

La paix, et l’extension du droit du suffrage, cela ne suffit pas aux sentencieux rédacteurs du journal de Prudhomme. Ils vont à la guerre contre l’Angleterre avec une inconscience et une infatuation qui épouvantent. Le journal récidive, sous le titre : Suite de la Révolution anglaise, dans le numéro du 15 au 22 décembre. Il annonce que la Cour d’Angleterre fait des préparatifs de guerre et il déclare sans hésiter que la guerre sera le signal d’un soulèvement universel en Irlande, en Ecosse et à Londres. Et, répondant à la partie du message où George III dit : « J’ai conservé avec soin une stricte neutralité dans la guerre actuelle du continent et me suis interdit toute intervention dans les affaires intérieures de la France », il écrit :

Il n’y a rien de plus faux que ces allégations ministérielles et royales. Mais comment le cabinet de Saint-James l’entend-il ? Il semble vouloir se faire un mérite de ne s’être point mêlé de nos affaires. En avait-il le droit ? Le pouvait-il ? Et cette neutralité dont il se targue n’est-elle pas plutôt le fait d’une fausse prudence et d’une conduite lâche qui a mal réussi ? »

Toute négociation devient impossible quand les faits sont à ce point dénaturés. La vérité certaine, évidente, c’est que jusqu’à ce moment l’Angleterre avait voulu la paix et avait évité tout ce qui pouvait la compromettre.

Le journal de Prudhomme traite de haut le ministre Lebrun, qui avait envoyé au ministère anglais une communication de forme modérée :

« Nous sommes fâchés de voir que le ministre Lebrun ne se soit pas placé à la hauteur des principes de la République dont il est un des organes, vis-à-vis du cabinet de Saint-James, qui ose encore aujourd’hui parler et agir ainsi. Nous l’avons déjà dit : depuis que le peuple français a retrouvé les droits de la souveraineté, il ne doit plus entrer en négociations avec aucun cabinet de l’Europe. C’est de peuple à peuple qu’il faut traiter désormais. La République française doit désavouer son ministre des Affaires étrangères toutes les fois qu’il la compromet ainsi, et lui défendre d’entretenir dans les Cours voisines des agents accrédités ou non, chargés par lui de solliciter et d’obtenir des audiences particulières de la nature de celles que Lebrun a dit, dans son dernier discours à la Convention, s’être ménagées auprès du ministère anglais. Ce n’est point avec Pitt, ce n’est point avec George, que la République a des intérêts à démêler ou des rapports à établir ; elle ne les connaît pas, puisqu’ils ne sont point chargés des mandats du peuple, elle n’a à traiter qu’avec le peuple anglais légalement représenté et quand il se sera déclaré souverain. »

Ou cela ne signifie rien, ou cela veut dire que la France laissera se créer entre elle et les pays de l’Europe tous les malentendus et qu’elle subira une guerre indéfinie tant que l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche, l’Angleterre, la Russie même, n’auront pas fait une révolution démocratique et républicaine. Je conviens que les tentatives réconciliatrices de Fox devaient paraître bien mesquines et bien pauvres à des hommes qui se complaisaient à d’aussi vastes, pensées.

DÉPUTÉ A LA CONVENTION NATIONALE
Quoniam iniquitatem meam ego cognosco, et peccatum meum contra me est semper.
Je reconnais ma faute, et mon crime odieux, A chaque instant du jour, est présent à mes yeux.
(D’après une estampe de la Bibliothèque Nationale)

LES ILLUSIONS DE KERSAINT

Dans le curieux discours, beaucoup plus tempéré, mais étrangement équivoque, que Kersaint fit à la Convention le 1er janvier, il maltraite également Fox :

« J’aperçois, dans les mouvements du gouvernement anglais, trois motifs également distincts, étrangers au peuple anglais : 1° La haine du roi contre les Français et ses craintes pour sa couronne, seul motif de l’intérêt qu’il a manifesté pour Louis XVI ; cet intérêt est fortifié par celui des nobles et des épiscopaux, vos ennemis naturels ; — 2° Les inquiétudes du premier ministre Pitt, maître absolu de l’Angleterre depuis huit ans, et que les orages d’une révolution et ceux d’une guerre menacent également de sa chute et ce parti tient à l’autre par l’aristocratie de la finance et les nombreux agents du gouvernement ; la guerre formera la coalition de ces deux intérêts et telle est leur force qu’ils entraîneront l’Angleterre.

3° L’ambition et le génie de Fox et les intrigues de son parti, cherchant à profiter des circonstances pour s’emparer du gouvernement, flattant avec adresse les diverses espérances de réformation qu’il croit propres à agiter le peuple anglais, espérances que la seule idée de révolution a changées en crainte ; et, ce motif, échappant aux chefs de l’opposition, les a laissés à la merci du gouvernement : juste châtiment, exemple mémorable qui doit avertir les hommes libres du danger de l’intrigue. La cause de cet événement, qui sera peut-être fatal au monde, est dans le caractère de ce célèbre orateur qui soutient, par son génie, la réputation d’un parti, dernier et frêle appui des défenseurs de la liberté en Angleterre. Ami des Droits de l’Homme et flatteur du roi, frondeur du gouvernement et superstitieux admirateur de la Constitution britannique, aristocrate-populaire, royaliste-démocrate, Fox n’a qu’un but, celui de s’élever sur les ruines de son rival et de se venger une fois de tant de défaites parlementaires, non moins fatales à ses intérêts qu’à sa gloire. »

J’avoue que je ne comprends pas. Kersaint reproche à Fox son rôle intermédiaire et ambigu. Mais, qu’attend-il donc de lui et que pouvait-il en attendre ? Voulait-il que Fox affirmât à la Chambre des Communes les principes de l’extrême démocratie et la république ? C’était renoncer d’un coup à toute influence parlementaire, à tout espoir de modérer la politique anglaise, de l’orienter vers les réformes et vers la paix. Kersaint constate que « la peur de la Révolution a changé en crainte les espérances de réformation ». Mais la démocratie absolue ne pouvait être réalisée d’emblée, en Angleterre comme en France, que par des voies révolutionnaires et Fox, de l’aveu même de Kersaint, n’aurait fait qu’aggraver la réaction belliqueuse.

Ou bien, au contraire, Kersaint eût-il voulu que Fox gardât le silence, même sur les idées de réformes, qu’il s’abstînt d’attaquer Pitt et le ministère ? Par là, il aurait rassuré les intérêts conservateurs et il aurait diminué l’excitation contre-révolutionnaire ; il aurait aussi affermi Pitt qui résistait à la guerre et de toute façon il aurait accru les chances de paix. Est-ce là ce que Kersaint veut dire ? C’était demander le suicide du parti libéral anglais. C’était renoncer pour l’Angleterre non seulement à la révolution démocratique, mais à toute réforme, à toute atténuation des privilèges mêmes que l’exemple de la Révolution française rendait à peu près intenables.

Il n’y a dans le discours de Kersaint ni déclamations, ni fanfaronnades. Les vues fines et justes y abondent. Ce qui y fait défaut, c’est une direction ferme et une conclusion logique et courageuse. Il ne flatte pas la Convention et la France de l’espérance que la nation anglaise prendra parti pour la Révolution. Il ne dénonce pas la prétendue perfidie de la politique de Pitt. Non, il croit et il dit que Pitt veut la paix ; mais que, s’il est obligé par les passions contre-révolutionnaires de l’Angleterre de déclarer la guerre, il y entraînera aisément le peuple entier.

Le prudent adversaire de Fox (Pitt) a besoin, à ce moment, de toutes ses forces ; car il faut qu’ensemble il défende sa popularité et son parti évidemment aristocrate, la royauté et son pouvoir évidemment absolu. Et, si la guerre éclate, peut-il être sur de conserver, malgré les événements qui l’accompagneront, cette prépondérance qu’on lui dispute même au sein de la paix ? C’est un fait connu en Angleterre et qu’une foule d’exemples a changé en axiome politique, que le ministère qui y déclare la guerre ne la voit jamais finir. Pitt voit dans la guerre le terme de son autorité. Pitt ne veut donc pas la guerre... »

Et encore :

« Pitt est sage et habile : il veut préserver son administration des embarras inséparables d’une révolution, et sans doute qu’il espère y parvenir en accélérant le retour de la paix en Europe. »

Ainsi, selon Kersaint, non seulement Pitt ne veut pas jeter l’Angleterre dans la guerre, mais il désire le rétablissement de la paix générale. Seulement, il a à compter avec de grandes forces sociales qui poussent à la guerre : c’est l’aristocratie foncière et épiscopale d’un côté, l’aristocratie d’argent de l’autre :

« L’aristocratie bourgeoise et financière se trouve en Angleterre dans une proportion beaucoup plus grande qu’elle n’était en France lors de la Révolution de 1789 ; ces hommes sont aujourd’hui les auxiliaires de la Cour et du Parlement et font un grand bruit de nos désordres, de notre anarchie, de notre faiblesse et des malheurs de ces journées que nous voudrions pouvoir effacer de notre histoire ; ils en épouvantent les gens de la campagne et le clergé britannique, les épiscopaux emploient l’hypocrisie qui leur est propre et leur crédit sur l’esprit du peuple pour effacer l’impression produite par nos succès et l’évidence des vérités que nous avons proclamées. »

En sorte que le jour où le gouvernement le voudra, c’est toute la nation anglaise qui se lèvera fanatisée pour la guerre. « Mais le peuple anglais proprement dit est-il dans des dispositions hostiles à notre égard et son gouvernement pourra-t-il en disposer à volonté pour nous faire une guerre injuste ? Je dois le dire, les habitants de Londres et des villes principales d’Angleterre sont travaillés, en ce moment, avec une perfide adresse, afin de les exciter à la guerre. »

Ainsi, tandis que les niais du Journal de Prudhomme repoussaient toute idée de négociation avec Pitt et voulaient une entente directe avec « le peuple », comme si le peuple était organisé, comme s’il était indemne des passions chauvines et rétrogrades, Kersaint constatait que le peuple anglais, à la moindre impulsion du pouvoir, se précipitait dans la guerre et il voyait en Pitt le seul ami de la paix. Kersaint va jusqu’à regretter que Fox ajoute aux difficultés contre lesquelles Pitt se débat. Puisque Fox n’osait pas poser nettement les principes de la démocratie, il ferait mieux de se taire, de ne pas harceler le ministère. En le pressant, en l’interrogeant, il l’oblige ou à désavouer les abus de la Constitution anglaise et à surexciter ainsi les passions réactionnaires des classes dirigeantes, ou à se solidariser avec ces abus qu’en des temps plus calmes il réformerait.

George III, par passion, veut la guerre ; Fox veut entraîner le ministère dans de fausses démarches et le contraindre à défendre les abus du gouvernement. » Comment Pitt sortira-t-il de cet embarras ? Comment échappera-t-il à la fois à la révolution et à la guerre ? Comment donnera-t-il satisfaction, en quelque mesure, aux passions haineuses du roi et aux instincts conservateurs des classes dirigeantes, sans se jeter dans une aventure ? C’est ici que Kersaint fait une hypothèse tout arbitraire : « Pitt espère sortir de ce mauvais pas en offrant sa médiation aux puissances belligérantes. » Et c’est pour imposer cette médiation, pour obliger surtout la France à l’accepter, qu’il fait semblant de vouloir la guerre. Il croit que la France fatiguée cédera.

« Pitt a pour lui la force du gouvernement, dont toutes les branches sont entre les mains de ses créatures ; il a pour lui la théorie de la corruption, son éloquence et la clef de la trésorerie. Nos transfuges et l’aristocratie qui l’environnent le poussent aux deux partis qu’il paraît avoir embrassés, savoir : de nous arrêter dans le cours rapide de nos victoires sur terre, par la crainte d’une guerre maritime, et de nous amener à des accommodements avec nos ennemis à l’aide de sa médiation... Une négociation en faveur des émigrés mixtes, j’entends ceux qui n’ont pas pris les armes, est aussi dans les vues de Pitt. »

C’est en effet une hypothèse arbitraire : car il n’y a aucun fait, aucun acte qui permette de supposer que Pitt voulait intervenir en ce sens. Ou il voulait la paix, et il savait bien que la France n’accepterait pas la moindre immixtion de l’étranger dans sa politique intérieure ; ou il était résolu à la guerre, et il avait tout intérêt à lui donner un autre caractère que celui que lui avaient donné la Prusse et l’Autriche. Il voulait se prévaloir jusqu’au bout de la sagesse avec laquelle l’Angleterre s’était abstenue de toute ingérence dans les affaires françaises et donner à la France révolutionnaire le rôle de provocatrice. C’est ce qui ressort encore de la réponse adressée le 31 décembre par lord Grenville à une communication de Chauvelin. Il se plaint du fameux décret du 19 novembre, qui « annonce aux séditieux de toutes les nations quels sont les cas dans lesquels ils peuvent compter d’avance sur l’appui et le secours de la France, et qui réserve à la France le droit de s’ingérer dans nos affaires intérieures, au moment où elle le jugera à propos, et d’après des principes incompatibles avec les institutions politiques de tous les pays de l’Europe. Personne ne peut se dissimuler combien une pareille déclaration est propre à encourager partout le désordre et la révolte. Personne n’ignore combien il est contraire au respect que les nations indépendantes se doivent réciproquement, ni combien elle répugne aux principes que le roi a suivis de son côté, en s’abstenant toujours de se mêler, de quelque manière que ce fût, de l’intérieur de la France. »

Ainsi, Kersaint se trompait sur la politique de Pitt ; mais là où son erreur était plus grave, c’est lorsqu’il disait que Pitt ne voulait pas sérieusement la guerre, que les préparatifs n’étaient qu’une parade pour effrayer la France. Sans doute Pitt ne cherchait pas la guerre, il préférait la paix ; mais les embarras qu’il pouvait avoir en Ecosse, en Irlande et en Angleterre même, n’étaient pas assez grands pour l’empêcher d’envisager sérieusement l’hypothèse de la guerre. Et, en se flattant qu’il n’y avait là qu’une démonstration un peu vaine, Kersaint se dispensait et il dispensait la Convention de chercher passionnément le moyen de conjurer ce suprême péril. Du moins avertissait-il loyalement la France que toute la propagande révolutionnaire en Angleterre était restée à peu près inefficace : « Je ne puis vous dissimuler que, si Pitt est conduit à la guerre, il disposera de sa nation. »

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