LES PROGRÈS DE LA RÉACTION ET SES CAUSES

Mais, d’où vient qu’en cette fin de 1792 tous les ressorts soient à ce point tendus en Angleterre ? D’où vient que cette même nation anglaise, qui en 1790 et 1791, semblait éprouver pour la Révolution de France quelque sympathie ou du moins quelque curiosité bienveillante, soit aussi animée contre elle maintenant, et dans toutes ses classes ? Comment Fox et ses amis libéraux, malgré leur prudence, malgré les réserves qu’ils multiplient, sont-ils submergés par l’esprit public et dénoncés, presque aussi violemment que Thomas Paine, par des associations conservatrices forcenées ?

J’en vois deux raisons principales. D’abord l’accélération du mouvement révolutionnaire en France avait son contre-coup en Angleterre.

Le régime du peuple français n’était plus une démocratie mitigée, tempérée de monarchie. C’était la démocratie pure, et une démocratie foudroyante. Le peuple était vainqueur de la royauté, et il tenait le roi dans ses mains. De plus, cette foule, qui le 10 août avait vaincu le roi, avait, le 21 septembre vaincu l’étranger. L’émotion était grande dans le monde, et les classes dirigeantes anglaises, les classes moyennes comme l’aristocratie, se demandaient si ce tremblement de terre n’allait pas ébranler leurs privilèges et leur puissance. Dans le moindre mouvement populaire, dans la plus petite émeute au sujet des salaires, elles voyaient un commencement de révolution. Et aussi bien, il était impossible de savoir de quelle pensée était travaillé le peuple ouvrier anglais. Quand le ministère anglais, devançant la date de la convocation, réunit le Parlement, le 15 décembre 1792, afin d’aviser aux mesures à prendre contre le péril révolutionnaire, ce n’est pas seulement Burke, ce sont des libéraux comme Windham, restés longtemps fidèles à Fox, qui poussent le cri de la peux. Fox essaie en vain de les rassurer.

« Il y a bien eu, dit-il, quelques petites émeutes en différentes parties du pays, mais je demande si les prétextes de ces soulèvements étaient faux et imaginés seulement pour couvrir une tentative de détruire notre heureuse Constitution. J’ai entendu parler d’un tumulte à Shields : d’un autre à Leith, d’une émeute à Yar-mouth et de mouvements de même nature à Perth et Dundee. Mais je demande aux gentlemen s’ils croient que dans ces différents endroits l’objet avoué de la plainte du peuple n’était pas le vrai ; je leur demande si les matelots à Shields, à Yarmouth, ne demandaient pas réellement un accroissement de salaires, s’ils étaient mûs par le dessein de renverser la Constitution. »

Sans doute, mais les classes conservatrices craignaient qu’un état d’esprit révolutionnaire ne fût répandu dans le peuplé, et que dans cette atmosphère ardente tous les mouvements, même ceux qui avaient un autre objet, ne devinssent des mouvements de révolution. Et elles commençaient à s’alarmer pour leur propriété comme pour leur pouvoir politique.

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