LES RÉFORMES

Est-ce à dire que la faillite de la Révolution française en Allemagne est complète ? Non, certes. D’abord, ce n’était pas en vain que depuis trois ans se déployait le spectacle prodigieux de la France révolutionnaire. Si obtus, si endormis que fussent encore les paysans d’Allemagne, ils apprenaient l’abolition des corvées et des dîmes, et ils s’étonnaient. Les hommes d’État les plus avisés comprenaient bien en Allemagne que, pour prévenir un soulèvement analogue à celui de la France, il faudrait réaliser quelques réformes, alléger le fardeau du peuple. Quelques souverains de petits États, notamment le fantasque et despote margrave de Hesse, eurent bien la pensée qu’il suffirait de mesures répressives pour écraser même les germes de la Révolution. Et en quelques points, la liberté de la presse dont s’enorgueillissait depuis un tiers de siècle l’Allemagne de l’Aufklaerung, parut menacée. Il fut interdit de parler politique dans les cabarets et les auberges. « Dans les hôtelleries, il n’y a plus maintenant, disait une Revue satirique, qu’une différence entre les hommes et les bêtes : c’est que les hommes paient. » Le secret de la correspondance fut parfois violé. Mais l’Allemagne tenait à la liberté de la pensée et la réaction s’arrêta.

Ainsi, peu à peu, même par les journaux et les revues qui combattaient la Révolution, les idées de celle-ci se répandaient. Et les gouvernements sentaient approcher l’heure des concessions nécessaires. Dans le Nouveau Museum allemand, Schlosser, le serviteur et conseiller du margrave Frédéric de Bade, invitait les souverains à la prudence, à la prévoyance :

« Espérons, écrivait-il, qu’en Allemagne on sera plus sage qu’en France. Il est impossible, il empêcher le peuple de constater, par l’exemple même des Français, que les choses pourraient aller autrement qu’elles ne vont et il faut que le penchant à l’obéissance reste assez fort pour neutraliser les impulsions contraires. Or, pour fortifier l’habitude de l’obéissance, il faut que les princes fassent à temps les réformes indispensables : juste diminution des impôts, limitation des ravages du gibier, adoucissement des corvées, assistance pour les pauvres, facilités plus grandes données au travail, ferme surveillance des employés de l’État, justice, plus rapide, voilà maintenant la seule éloquence qui puisse détourner les sujets de la révolte. »

Image contre-révolutionnaire italienne
(D’après un document du Musée Carnavalet)

Ainsi, malgré tout, les idées cheminaient, et d’innombrables semences tombaient dans les sillons ouverts.

Même, à l’épreuve de l’action, la haute pensée allemande devenait plus virile... Rien des esprits sans doute se repliaient, se retiraient. Mais d’autres prenaient leur parti de l’inévitable brutalité des grands mouvements humains. Ils maintenaient et élevaient toujours plus haut, contre les fureurs et les menaces croissantes de la réaction, l’idéal du droit et de la liberté, et ils faisaient ainsi, dans l’ordre de la pensée, l’apprentissage du combat.

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