LES CONDITIONS POLITIQUES ET SOCIALES

En Suisse aussi, la Révolution se heurtait à bien des résistances et des défiances. Dans plusieurs cantons, à Zurich, à Berne, les influences aristocratiques dominaient. Un patriciat de nobles et de riches bourgeois avait absorbé presque tout le pouvoir. A Genève, pendant tout le XVIIIe siècle, la lutte s’était poursuivie entre l’aristocratie et la démocratie, comme l’a très nettement montré M. Henri Fazy dans sa substantielle étude sur les Constitutions de Genève. En 1781, la démocratie avait fait un grand effort et elle avait un moment obtenu la victoire. Par l’édit du 10 février 1781, les pouvoirs du Conseil général, c’est-à-dire du peuple, furent renforcés ; des garanties essentielles furent accordées aux natifs, c’est-à-dire aux descendants de ceux qui étaient venus s’établir à Genève ; la liberté du travail et de l’industrie, réservée jusque-là à certaines catégories bourgeoises, fut étendue à la plupart des habitants, et des atteintes assez profondes furent portées au système féodal.

« Les éléments constitutifs de la féodalité, la corvée, la taillabilité réelle et personnelle, étaient abolis sans indemnité dans tous les biens appartenant à l’État. Quant aux sujets taillables et corvéables des seigneuries particulières, ils pouvaient s’affranchir en payant à leur seigneur le prix dudit affranchissement, tel qu’il serait estimé par experts convenus entre les parties, ou à leur défaut, nommés d’office par le Conseil. » « C’était l’abolition des privilèges féodaux décrétée huit ans avant la Révolution française. » (HENRI FAZY.)

C’était comme un écho, parfois agrandi, des projets de Turgot. Mais la victoire de la démocratie et des forces nouvelles à Genève fut courte. Les cantons aristocratiques de Zurich et de Berne, redoutant la contagion démocratique, intervinrent. Et le ministre des affaires étrangères de France, M. de Vergennes, les seconda. La France ne cédait probablement pas à des préoccupations d’ordre politique, puisqu’elle venait de concourir à l’émancipation des Etats-Unis d’Amérique et qu’elle n’avait guère à redouter pour sa monarchie l’exemple de la petite république genevoise. Mais elle craignait sans doute que l’influence traditionnelle de son résiden t à Genève et de toute sa politique dans les cantons, fût amoindrie si les petites oligarchies sur lesquelles elle croyait avoir mis la main étaient ébranlées.

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