LE CHOIX D’ALBION SERA DÉCISIF

Sur l’Angleterre aussi plana, en ces années décisives de l’histoire du monde, un doute vraiment tragique. Allait-elle se livrer au mouvement de la Révolution, ou au contraire le combattre et chez elle et au dehors ? Selon que se réaliserait l’une ou l’autre hypothèse, la marche des choses humaines était en quelque sorte retournée. Que l’Angleterre écrase en son propre sein toute tentative de démocratie et qu’elle se joigne aux puissances du continent pour combattre avec son obstination, avec son or, avec son génie, avec le prestige des libertés premières conquises par elle, la France révolutionnaire, et celle-ci, acculée, exténuée, réduite pour se défendre à tendre tous les ressorts, est vouée, après une excitation héroïque et furieuse, à une longue dépression. La Révolution n’est pas définitivement vaincue, mais elle subit de terribles éclipses.

Au contraire, que l’Angleterre sympathise avec la France et harmonise son propre mouvement à celui de la Révolution, qu’elle donne à ses institutions libérales et parlementaires un caractère démocratique, qu’elle reconnaisse au peuple tout entier la droit de suffrage et que, sans briser sa monarchie, elle la rende vraiment populaire, la Révolution est invincible en Europe. Elle apparaît avec la double force de l’idéal et de la tradition. En France, après le long obscurcissement des libertés publiques qui, depuis les États généraux de 1614, n’ont même plus un simulacre de garanties, elle est la révélation soudaine et lumineuse du droit. En Angleterre, elle est la continuation, l’agrandissement de l’œuvre de liberté qui, commencée avec la grande Charte, s’est continuée en 1648 et en 1688.

Devant cette alliance de la tradition libérale élargie et de la démocratie nouvelle, la contre-Révolution du continent aurait été impuissante. Elle n’aurait même pu engager la lutte à fond. Et la France, débarrassée de sa royauté traîtresse et délivrée en même temps de tout souci extérieur, aurait évolué dans la liberté et dans la paix, elle n’aurait connu ni la dictature de la Terreur ni la dictature militaire. Oui, c’était une autre marche de l’histoire.

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