LES FORCES DE MOUVEMENT

D’abord, la prérogative royale était mal définie. Elle tendait sans cesse à empiéter sur le droit et le pouvoir des Communes. Trop souvent les ministères n’étaient que des coteries de cour par où s’exprimait le caprice royal plus que la volonté nationale. Et, comme souvent la nation anglaise avait pâti des fautes de rois mal contrôlés, servis par des ministres courtisans, comme elle était restée très humiliée de la perte des colonies d’Amérique qu’elle attribuait à Georges III et au ministère de lord North et, comme les impôts assez lourds, par lesquels Pitt avait rétabli l’équilibre du budget, prolongeaient le mécontentement, une partie songeait à limiter plus strictement l’action de la Couronne. Mais si, selon les principes de la Révolution française et la Déclaration des Droits de l’Homme, la Nation seule était souveraine, si le roi n’avait qu’une puissance déléguée et par conséquent conditionnelle, la question était résolue. Ainsi la démocratie apparaissait comme un moyen décisif de limiter et de refouler la prérogative royale.

En second lieu, la Révolution française donnait une soudaine ampleur à la question de la réforme électorale. Tandis qu’avant 1789, en Angleterre, tout l’effort des esprits les plus hardis se portait à demander une légère extension du droit de suffrage et une rectification du système électoral, voici que soudain la France appelait au vote, à la souveraineté politique, plus de trois millions de citoyens ; voici qu’elle proclamait des principes d’où l’on sentait bien que le suffrage universel allait sortir. Le peuple anglais, qui, au temps de Cromwell et du niveleur Lilburne, avait entrevu les principes de la démocratie et qui les pratiquait dans plusieurs de ses Églises dissidentes, où les fidèles constituaient le gouvernement, fut ému du magnifique exemple d’égalité que donnait la France.

Enfin, comment les prolétaires eux-mêmes, si misérables parfois, si accablés par les lois de l’enrôlement et par la presse des marins, si écrasés aussi par les classes riches, n’auraient-ils pas eu un sursaut à la vue de ces prolétaires de France, de ces paysans du Dauphiné ou de la Bourgogne, de ces ouvriers de Paris, qui se jetaient dans le mouvement, abattaient l’orgueil des nobles et des prélats somptueux, renversaient les châteaux et la Bastille, et exigeaient des pouvoirs publics le pain blanc à bon marché ?

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