LES POÈTES ANGLAIS ET LA RÉVOLUTION

La Révolution française ne passionnait pas seulement l’esprit des réformateurs, elle enflammait l’âme des poètes et leurs rêves. C’était une grande leçon, c’était aussi un grand et émouvant spectacle que ce peuple s’éveillant soudain, et tout entier, à la liberté. La chute de la Bastille avait fait frissonner toute la terre, au plus profond des muettes servitudes, comme si les tombeaux mêmes avaient reçu une commotion de vie. La grande joie fraternelle de la Fédération avait ému au loin et enivré les cœurs. Quelle pitié, disent même les plus médiocres des opuscules où Burke est réfuté, quelle pitié que cet homme d’imagination en soit encore à célébrer la vieille chevalerie et les vieux tournois et qu’il n’ait pas vu ce qu’il y a de grandeur chevaleresque dans cette réunion enthousiaste des provinces et des villes abjurant les antiques rivalités, brisant les antiques privilèges !

Presque toute la génération des poètes anglais qui grandissait alors fut touchée par le vif rayon de beauté et de liberté de la Révolution française. Chose curieuse ! En France même, il n’y a pas eu un seul grand poète inspiré par la Révolution. André Chénier en a été surtout le satiriste, l’iambiste amer. Les événements étaient trop ardents, trop pressants pour que le rêve pût se jouer. La flamme de l’action, de la colère, de l’espérance violente dévorait la pensée. Comme les nuées qu’absorbe l’espace trop chaud et qui ne ressuscitent soudain que dans le tumulte de l’orage, les douces et juvéniles rêveries des âmes tendres étaient absorbées par la chaleur croissante des choses et des esprits.

Au contraire, aux jeunes âmes anglaises, qui étaient assez près de la Révolution de France pour en ressentir les émotions magnifiques, mais qui n’étaient pas directement engagées dans la violence du drame, elle était comme un grand spectacle humain par où s’élargissaient encore les rêveries commencées par les grands spectacles de la nature.

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