MACKINTOSH ET LA CLASSE INDUSTRIELLE

Au contraire de Burke, dont toute la sympathie va à la propriété terrienne comme à l’élément le plus stable et le plus conservateur du consortium terrien et industriel qui dirigeait l’Angleterre, Mackintosh voit dans la propriété mobilière, industrielle et financière, la force nécessaire et bienfaisante.

« L’intérêt commercial, ou intérêt d’argent, a été dans toutes les nations de l’Europe (prises en bloc) bien moins affligé de préjugés bien plus libéral et plus intelligent que la classe des propriétaires terriens (landed gentry). Les vues des commerçants ont été élargies par de vastes relations avec l’humanité et de là l’importante influence du commerce dans la transformation libérale du monde moderne (in liberalizing the modem world). Nous ne pouvons donc pas nous étonner que cette classe d’hommes éclairés se montre la plus ardente dans la cause de la liberté, la plus zélée pour la réforme politique. Il n’est pas étonnant que la philosophie trouve chez eux de plus dociles disciples, et la liberté des amis plus actifs que dans une aristocratie arrogante et infectée de préjugés(haughty and prejudiced aristocracy). La Révolution de 1688 produisit les mêmes effets en Angleterre. Les intérêts d’argent formèrent de beaucoup la force du whiggisme, tandis qu’en grande majorité les propriétaires terriens continuaient à être de zélés torys. »

Mais l’effet de la Révolution française en Angleterre ne doit pas se borner, dans la pensée de Mackintosh, à accroître l’influence politique et sociale de la classe industrielle, commerciale et financière, plus active et libérale que la classe terrienne. C’est l’avènement de la démocratie, c’est la tendance à l’égalité sociale et à l’égalité politique que salue l’éminent juriste. S’il approuve la Constituante d’avoir aboli les privilèges nobiliaires, les distinctions des ordres et le système féodal, c’est parce que le devoir du législateur est de travailler le plus possible à la diffusion de la propriété, ou tout au moins d’abolir les causes factices qui ajoutent à la puissance naturelle de concentration de la propriété.

Il y a deux sortes d’inégalités, l’une personnelle — celle du talent et de la vertu, source de tout ce qu’il y a d’excellent et d’admirable dans la société — l’autre, celle de la fortune, qui doit exister, parce que la propriété seule peut stimuler au travail ; et le travail même, s’il n’était pas nécessaire à l’existence, serait indispensable au bonheur de l’homme.

Mais, quoique la propriété soit nécessaire, elle est, dans ses excès, la plus grande maladie de la société civile. L’accumulation du pouvoir conféré par la richesse aux mains d’un petit nombre est une source perpétuelle d’oppression et de dédain à l’égard de la masse de l’humanité. Le pouvoir des riches est concentré plus encore par leur tendance à la coalition (their tendency to combination), coalition qui est rendue impossible aux pauvres par leur nombre, leur dispersion, leur indigence et leur ignorance. Les riches sont groupés en corps par leurs professions, par leurs divers degrés d’opulence (c’est ce qu’on appelle le rang), par leurs connaissances et par leur petit nombre. — Ce sont eux nécessairement qui, dans tous les pays, administrent le gouvernement, car ils ont seuls l’habileté et les loisirs nécessaires pour ces fonctions. En cet état de choses rien ne peut être plus évident que leur inévitable prépondérance dans l’échelle sociale. La préférence des intérêts partiels aux intérêts généraux n’en est pas moins le plus grand des maux publics.

Toutes les lois doivent donc avoir pour objet de réprimer cette maladie, mais leur tendance perpétuelle a été de l’aggraver. Non contentes de l’inévitable inégalité de fortune, elles y ont ajouté des distinctions honorifiques et politiques. Non contentes de l’inévitable tendance des riches à se coaliser, elles les ont incorporées en classes. Elles ont fortifié ces conspirations contre l’intérêt général, auxquelles elles auraient dû résister puisqu’elles ne peuvent les désarmer entièrement. Les lois, dit-on, ne peuvent égaliser les hommes. Non. Mais, doivent-elles pour cette raison aggraver l’inégalité qu’elles ne peuvent pas guérir ? Doivent-elles, pour cette raison, fomenter cet esprit de corporation qui est leur plus fatal ennemi ? »

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