L’ANTIÉTATISME GODWIN

En dehors des raisons générales qu’il a déduites, Godwin a deux raisons particulières de ne pas aimer les révolutions. Il n’aime pas les gouvernements. Tout gouvernement lui parait un mal, et on peut dire de lui qu’il est le premier grand théoricien « libertaire ». Il croit que, dans une société mieux organisée et mieux éduquée, la force contraignante et le châtiment deviendront inutiles. C’est une libre et universelle entente qui assurera la marche de la société, et les gouvernements devenus inutiles s’évanouiront d’eux-mêmes, parce que l’opinion, où est toute leur force, se sera peu à peu retirée d’eux.

Tout gouvernement ne peut durer sans confiance, et cette confiance au gouvernement ne peut exister sans ignorance. Les vrais soutiens d’un gouvernement sont les faibles et les incultes, non les sages. A proportion que la faiblesse et l’ignorance diminueront, la base du gouvernement sera réduite. C’est un événement qu’on ne doit pas considérer avec alarme. Une catastrophe de cet ordre serait la vraie belle mort » du gouvernement. Si l’annihilation de l’aveugle confiance et de l’opinion implicite peut se produire un jour, il y aura nécessairement, à la place de ces erreurs usées, un libre concours de tous pour promouvoir le bien-être général (an unforced concurrence of all in promoting the general welfare). Mais, quelle que puisse être à cet égard la suite des événements et la future société politique, il est toujours bon de se rappeler que c’est là la caractéristique du gouvernement et la pierre de touche de l’institution. On peut douter à quelque degré que l’espèce humaine puisse jamais s’émanciper de l’état de sujétion et de tutelle où elle est ; mais c’est là sa destinée, il peut être salutaire aux individus et profitable à l’ensemble de s’en souvenir. » Ainsi, l’homme prudent et avisé qui ne croit qu’au progrès mesuré, aux évolutions continues, n’imagine point follement un brusque passage de l’état de servitude à l’état « d’anarchie », mais il croit qu’à mesure que la valeur individuelle des hommes et leur disposition à s’obliger librement les uns les autres grandiront, tout pouvoir de contrainte, c’est-à-dire tout gouvernement, tendra à s’affaiblir et à disparaître. Et, si incertaine, si lointaine en tout cas que soit cette mort des gouvernements, c’est un noble idéal pour tout individu de régler sa vie de telle sorte que le gouvernement soit inutile. Mais, pendant les crises révolutionnaire, tous les ressorts de l’activité se tendent, toutes les forces de gouvernement se concentrent, qu’il s’agisse du gouvernement menacé ou du nouveau gouvernement révolutionnaire et c’est une raison de plus à cet individualiste fier et hautain, qui ne conçoit la démocratie et le communisme même que comme le moyen suprême de développer les individus, pour écarter le plus possible toute hypothèse de révolution.

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