GODWIN ET LA MÉTHODE SCIENTIFIQUE

« La politique est une science (Politic is a science) Les traits généraux de la nature de l’homme peuvent être compris, et un mode peut être déterminé qui, considéré en lui-même, est le mieux adapté à la condition de l’homme en société. Si ce plan (d’organisation) ne peut être appliqué partout et subitement, les modifications qui y peuvent être apportées selon les variations des circonstances, et les degrés où il peut être réalisé, sont aussi un objet de recherche scientifique.

Il est évidemment de la nature de la science d’être progressive. Par combien de stages a passé l’astronomie avant de recevoir le degré de perfection qui lui fut donné par Newton ! Comme les balbutiements de la science de l’esprit étaient imparfaits avant qu’elle ait atteint la précision du siècle présent ! La connaissance politique est, sans aucun doute, dans son enfance, et, comme elle a affaire à la vie et à l’action, à mesure qu’elle deviendra plus vigoureuse, elle manifestera une influence plus constante et moins précaire sur la marche de la société humaine. C’est la loi historique de toutes les sciences de n’être d’abord connues que d’un petit nombre d’hommes avant de descendre dans les diverses classes et catégories de la communauté. »

Ainsi, il y aura une croissance parallèle de la science, de la politique et des progrès sociaux. Sans doute, les connaissances vagues qui, dans l’ordre politique, ont usurpé le nom de science, ne peuvent avoir aucune action. Mais il n’en est pas de même de la science politique exacte et précise qui va se constituant peu à peu.

D’ailleurs, « c’est un malentendu de supposer que, parce que nous n’avons pas de commotions populaires et de violences, la génération on nous vivons ne bénéficiera pas de l’amélioration de nos principes politiques ». Tout progrès de la pensée a son contre-coup nécessaire dans les institutions, et est encore une méprise de supposer que le système de confiance en la seule raison est calculée pour ajourner la réforme fondamentale à des distances incommensurables. Il est dans la nature de toute science et de tout progrès d’être d’abord faible et en quelque manière imperceptible en sa marche première. Ses débuts sont comme accidentels : peu y prennent garde, et la croissance en est obscure, et il en résulte qu’après une longue préparation, le progrès s’accélère soudain à un degré inattendu. »

Cette accélération, cette diffusion de tout progrès sont accrues aujourd’hui par l’imprimerie, qui multiplie indéfiniment les effets et les forces. Ainsi, Godwin estime que la méthode d’évolution qui s’impose à la fois au mouvement social et à la science, n’est pas une méthode d’ajournement, et que, par le bénéfice d’une sage et solide préparation, elle peut bientôt égaler en rapidité les effets de la méthode révolutionnaire. C’est un effort visible du grand penseur pour concilier la méthode de prudence, de préparation et « d’opportunisme », qui lui parait convenir à toute l’humanité, mais particulièrement sans doute à la nation anglaise, avec l’impatience de réforme, de progrès profond et fondamental que la Révolution française avait déchaînée dans le monde. C’est une joie pour l’historien de noter les croisements des courants, les combinaisons infinies des pensées et des forces. Mais Godwin ne veut pas que cette méthode de sagesse puisse être interprétée comme un lâche reniement du progrès humain, et des dures conditions que trop souvent y met l’histoire. L’expérience démontre que les révolutions ont été presque toujours accompagnées de circonstances pénibles. Elle démontre aussi que les révolutions ont été nécessaires au progrès humain.

Après tout, on ne peut oublier que, si révolution et violence ne sont pas en connexion nécessaire, la révolution et la violence ont été trop souvent contemporaines des grands changements du système social (revolution and violence have too often been cœval with important changes of the social system). Ce qui s’est si souvent produit dans le passé peut sans doute, à l’occasion, se produire dans l’avenir. Le devoir donc des véritables hommes politiques est de retarder les révolutions quand ils peuvent les empêcher. Il est raisonnable de croire que plus tard elles se produisent, et plus les vraies notions politiques sont comprises, moindres sont les inconvénients attachés à la révolution. L’ami du bonheur humain doit essayer de prévenir la violence, mais ce serait la marque d’un tempérament faible et valétudinaire de détourner ses yeux avec dégoût des affaires humaines et de ne pas contribuer de nos efforts et de notre attention à la félicité générale, parce que, peut-être, à la fin, la violence interviendra. C’est notre devoir de tirer le meilleur parti possible des circonstances qui peuvent naître et de ne pas nous retirer parce que la marche des choses ne s’accorde pas entièrement avec notre idée des convenances. Les hommes qui s’irritent contre la corruption et s’impatientent de l’injustice et qui, par cet état d’esprit, favorisent les fauteurs de révolution, ont une noble excuse à leurs erreurs : c’est qu’elles sont l’excès d’un sentiment vertueux. »

Noble combinaison de prudence politique, de sagesse scientifique et de générosité humaine. Godwin se refuse à désavouer l’ardeur révolutionnaire de la France, tout en recommandant à l’Angleterre une autre méthode.

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