CXIII

Il rentra chez le jardinier, et l’on alla chercher un chirurgien pour le saigner. Cet accident le retint deux jours dans la maison de M. Müller ; il coucha dans la petite chambre qu’il avait occupée autrefois.

Pendant ces deux jours, une révolution se fit dans l’esprit de Stephen ; il regarda la vie qu’il menait et la trouva tellement vide, qu’il en fut effrayé.

Il vit que Magdeleine avait gardé son âme, et que son corps seul et ses sens lui restaient ; il comprit que la seconde moitié de la vie n’est que la conséquence de la première moitié ;

Qu’il fallait bien récolter ce qu’il avait semé ;

Qu’un amour violent comme celui qu’il avait éprouvé ne se dépouille pas avec les vieux habits ; qu’il est comme une liqueur corrosive qui ne teint pas seulement l’écorce du bois, mais pénètre jusqu’à la moelle et le colore ;

Et qu’il fallait livrer le reste de la vie à l’amour, qui en avait pris le commencement, quelques souffrances qu’il eût à endurer, car ce n’était pas une résolution volontaire : il était comme un malheureux qui, laissant prendre dans la meule d’un moulin à eau le bout de son vêtement, y passe tout entier et est broyé, bras, corps et tête, sans qu’aucune force le puisse sauver.

— Eh bien, dit-il, je cède ; je suis à elle corps et âme ; à elle mon passé et mon avenir ; à elle ma vie de ce monde, et encore une autre vie, s’il y en a une après celle-ci ; à elle mes pensées, mon souffle, mes regards ; à elle moi tout entier.

» Mais elle sera à moi.

» Car la vengeance est une chose douce au cœur et plus juste qu’aucune autre.

» Magdeleine sera à moi et je me vengerai d’Edward.

» Il n’y a pas d’autre droit ni d’autre justice que la force ; le plus fort a raison : je serai le plus fort.

» Foulé aux pieds, méprisé, j’ai vu froisser tout ce qu’il y avait en moi de naïf, de bon, d’honnête et de grand : et le bonheur est pour ceux qui sont méchants, perfides et petits : je l’aurai aussi, le bonheur, je serai méchant et perfide.

» Magdeleine sera à moi.

» Je me vengerai d’Edward.

» J’en jure par tout ce qui m’entoure, par le ciel et la terre, par mon corps et mon âme, par mon amour pour Magdeleine.

» Oui, Magdeleine sera à moi ! répéta-t-il. »

Il s’arrêta comme en proie à une pensée soudaine : ses yeux brillèrent comme des charbons ardents, et il répéta :

— Oui, elle sera à moi… et…

Il finit sa phrase par un rire infernal.

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