CXV

Beaucoup ont, de notre temps, et précédemment, et de-tout temps, déclamé contre les habits, et ont paraphrasé de toutes les manières l’habit ne fait pas le moine.

Nous-mêmes, de notre côté, il y a eu un moment de notre vie où nous ne pouvions voir qu’avec la plus grande indignation la préférence que de prime abord on accordait ou paraissait accorder à un homme bien mis sur nous, qui l’étions assez mal, pour deux causes : c’est que, fils fugitif, nous étions trop pauvre pour qu’on pût nous appeler enfant prodigue ; la seconde, c’est que, plein d’illusions que nous regrettons parce qu’elles étaient grandes et belles, plus mille fois que la vérité, nous professions un souverain mépris pour tout ce qui ne venait pas de l’âme.

Ce mépris pour la beauté extérieure était une sottise : il est évident qu’elle produit une forte attraction, et que, pour un chien, pour un cheval, pour une femme, pour un homme, nous nous sentons comme entraînés à un accueil plus affectueux par leur beauté.

Nous ne voyons pas pourquoi, dans la vie et dans les relations sociales, on ne prendrait pas sa part de ce qu’il peut y avoir d’avantageux et de propre à les rendre plus agréables ; pourquoi on ne ferait pas tous ses efforts pour acquérir sur les autres cette puissance d’attraction que quelques-uns ont sur nous : on ne peut nier non plus que la parure n’ajoute à la beauté.

Nous n’entendons pas par là des cravates raides de telle sorte qu’un homme qui arriverait de la lune penserait que ceux qui les portent sont des criminels condamnés à un long supplice. Nous ne faisons pas l’éloge non plus du costume de notre temps, qui se prétend artiste. Nous entendons par la parure, l’emploi de certaines couleurs et de certaines formes qui dessinent plus avantageusement le corps.

Une fois accordé que la parure ajoute à la beauté, la cause des habits est gagnée ; nous avons naturellement une sorte de reconnaissance pour l’homme qui nous offre un aspect agréable à reposer les yeux, tandis que celui qui se montre peu soucieux de sa beauté se montre aussi peu désireux de nous plaire et de nous attirer à lui, et par conséquent n’a pas droit à notre accueil ni à cette bienveillance vague qui précède les relations amicales.

Il n’est pas donné à tout le monde de discerner tout d’abord l’âme à travers l’enveloppe du corps. Il faut être Virgile pour savoir tirer les perles du fumier d’Ennius. Quelque belle que soit votre âme, vous ne pouvez vous en revêtir, et vous le pourriez, que vous ne voudriez ni l’exposer à tant de froissements, ni prostituer à tous ce qui n’appartient qu’aux amis.

Si vous repoussez de vous les regards, tel homme dont l’âme a avec la vôtre une sorte de confraternité, ne prendra pas la peine de s’en assurer, ou, s’il le fait, il aura une sensation désagréable : « Dans quel vilain vase ce parfum a-t-il été renfermé ! »

Tandis que la beauté qui arrête agréablement les yeux fait désirer que l’âme, dont elle est comme l’enseigne, vienne compléter le charme ;

Comme on désire qu’un bel oiseau ait une voix mélodieuse ;

Une fleur éclatante un suave parfum.

Il nous semble une niaiserie et une affectation ridicule de feindre de mépriser la beauté du corps comme on le fait ordinairement. D’une part, ce mépris est simulé, car autant l’on s’occupe peu de parer et de cultiver l’âme, autant on soigne, on lave, on parfume le visage et les mains, on se met des fausses dents et de faux cheveux, on se peint des veines et des sourcils, on met du blanc ou du rouge.

Le peu de préceptes que l’on prend la peine de connaître pour régler sa nature morale sont méprisés et nullement suivis ; les meilleurs ne sont pas estimés à l’égal du dernier cosmétique, et Guerlain le parfumeur a plus de clients que n’en ont à eux tous les philosophes de cette ville.

D’autre part, ce mépris feint pour les avantages physiques, vient, selon nous, de ce que, si l’on en est dépourvu, il est assez difficile de se les attribuer, tandis que, pour les qualités du cœur, il suffit, pour être cru par le plus grand nombre, de dire : « Je suis sensible, généreux, brave, franc, etc. » On ne fait semblant de mépriser la beauté que parce qu’on ne peut pas persuader aux autres que l’on est beau, comme on leur persuade que l’on est vertueux ; la beauté est, dans le domaine des sens, le juge qui trompe le moins l’homme ; la vertu est hors de leur domaine.

La plupart des hommes sont obligés de vous croire sur parole si vous leur dites que vous êtes vertueux ; ils n’ont pas la même confiance si vous dites que vous êtes beau. Le mépris pour la beauté est le mépris du renard pour les raisins qu’il ne peut atteindre.

Nous ne voyons pas de cause à la préférence que l’on accorde à la beauté morale sur la beauté physique, en admettant que le mépris pour la dernière soit véritable.

Parce qu’une rose a un suave parfum, faut-il mépriser son feuillage dentelé et épais d’un si beau vert, ses pétales d’une couleur si fraîche et si tendre, humide de rosée, de fraîcheur et de jeunesse ?

Parce qu’un oiseau a un chant harmonieux, faut-il ne pas s’apercevoir que son plumage est éclatant, que son œil est vif et que ses ailes entr’ouvertes au vent sont brillantes ?

Et encore, quand l’oiseau est caché sous les feuilles, sa voix peut prévenir en sa faveur avant qu’on l’ait aperçu ; le vent du soir peut vous apporter de loin le parfum de la rose cachée dans un buisson ; mais chez l’homme les qualités du cœur sont cachées ; il faut, comme dit un vieux proverbe, avoir mangé avec un homme un boisseau de sel pour le connaître.

Il serait donc stupide de rejeter des avantages qui attirent à vous et donnent le désir de connaître ce que vous avez de bon au dedans.

Nous n’avons pas voulu ici prouver que la beauté est une chose bonne et estimable. Tout le monde est de notre avis quoi qu’on en dise ; nous avons seulement cherché à établir que l’on peut avouer que l’on-tient à être beau, que l’on peut dire : « J’ai le nez bien fait, » comme on dit : « J’ai du sang-froid : » « J’ai de jolis yeux, « comme : « J’aime tendrement mes amis. »

Nous ajouterons qu’il y a entre la beauté du visage et celle de l’âme une sorte de corrélation sympathique, et qu’un homme d’esprit ou un homme de cœur n’est jamais bien laid, et a une beauté à lui particulière.

Ceux qui nous connaissent personnellement seront peut-être surpris que nous, qui avons la triste habitude d’inspirer presque toujours un grand éloignement aux personnes qui nous voient pour la première fois, nous fassions l’éloge de la beauté, comme un prisonnier parlerait de la liberté.

La beauté étant admise comme une chose bonne et utile, et la parure ayant évidemment le pouvoir de l’augmenter, la parure est donc d’elle-même une chose également bonne et utile.

L’homme mal habillé inspire de la pitié ou de la répugnance aux indifférents, et chagrine ses amis, et lui-même, se voyant l’objet d’une sorte de mépris, a des manières âpres et haineuses, ou, se sentant au-dessous des autres, devient timide et maladroit.

Il faut avoir des habits.

Quand on devrait les voler, car les gendarmes, les huissiers, les jurés, le procureur général auront plus d’égards pour vous sur la sellette des accusés, si vous êtes bien mis que si vous êtes déguenillé, et votre tailleur même sera plus poli et plus accommodant si vous lui refusez de l’argent, ayant sur vous l’habit neuf que vous lui devez.

Share on Twitter Share on Facebook