CXL MAGDELEINE À STEPHEN

J’ai bien pleuré depuis hier, et ma fièvre s’est calmée.

Aujourd’hui, je suis tranquille et raisonnable, car j’ai pris une résolution inébranlable. Vous avez eu tort, Stephen ; vous avez pour vous et pour moi arrêté l’avenir, et cependant j’y voyais du bonheur : je rachetais l’égarement qui m’avait éloignée de vous par le sacrifice de ma réputation, de mes devoirs, de ma famille, de mes amis.

Car ce n’était pas clandestinement que je voulais me donner à vous ; j’étais à vous tout entière, et j’aurais été à vous aux yeux de tous ; car mon amour pour vous ne m’humiliât pas ; je me croyais si digne d’être aimée et vous m’avez tant aimée !

Et vous m’aimez encore ; je comprends maintenant tout ce qu’il y a d’amour dans cette atroce vengeance. Oh ! pourquoi avoir ainsi rendu l’amour impossible entre nous ! J’avais tant d’amour à te donner en échange du tien ; j’avais amassé tant de bonheur pour toi ; je rêvais avec volupté à tout le mal que tu avais éprouvé à cause de moi, car j’avais à te rendre autant de baisers que tu avais versé de larmes :j’avais dans mon âme du baume pour toutes tes plaies. Dans ce qui nous restait à vivre ensemble, n’eût-ce été qu’un jour ; j’aurais su te donner du bonheur autant qu’il peut en tenir dans la vie la plus longue.

Mon cœur débordait d’amour, et cette union qui t’a fait tant de mal ne t’aurait rien dérobé, car pour toi j’aurais eu un cœur et des sens de vierge ; avec toi j’aurais recommencé la vie.

Nous nous serions enfuis tous deux ensemble, et dans un coin solitaire, seuls au milieu du monde, nous aurions épuisé l’amour ; et, après avoir vidé la coupe jusqu’à la dernière goutte, nous serions morts ensemble.

Vrai, Stephen, il y avait encore du bonheur pour nous, et il faut laisser la coupe pleine, car nous ne pouvons revenir sur le passé. Tu es plus malheureux que coupable ; tu trouverais toujours entre toi et moi l’homme que tu as bien sévèrement puni ; tu me verrais toujours flétrie par son amour, et je ne puis offrir à ton cœur une femme flétrie ; en vain tu voudrais chasser cette image, elle te poursuivrait.

Je t’aime, Stephen, je t’aime encore, et ma dernière pensée, mon dernier soupir sera pour toi : je pleure avec toi tout ce que nous perdons de bonheur.

Quand tu recevras cette lettre, je serai morte ; je meurs sans désespoir, calme et tranquille, parce que ma vie doit finir là où il n’y a plus pour moi de bonheur possible ; seulement, je voudrais mourir sans trop souffrir : mes sens se révoltent à l’idée de cette mort violente et de ses dernières angoisses ; depuis hier, je cherche quel genre de mort je dois choisir pour supporter les douleurs les moins longues et les moins aiguës.

Je meurs et je te laisse encore un souvenir d’amour : c’est une consolation en quittant cette vie, qui pouvait encore être si belle.

Peut-être, dans ton désespoir, tu voudras aussi mourir, car tu m’aimes, et ta vengeance me l’a dit plus que tout le reste.

Mais j’ai un legs à te confier : c’est mon fils, c’est le fils d’Edward.

Ne le hais pas, il est innocent ; pardonne-lui le crime de sa mère, car je le comprends maintenant, c’était un crime : je sais aujourd’hui tout ce que tu as dû souffrir. Tu as tué son père ; sa mère va mourir ; ne le laisse pas seul et isolé dans la vie : donne-lui un asile et du pain, donne-lui de l’amitié, qui est encore plus nécessaire.

J’ai encore une grâce à te demander : quand je serai morte, viens dire adieu à mon cadavre ; viens me donner un baiser d’amour sur ma bouche morte, un baiser de pardon et d’adieu, car le seul que j’aie jamais reçu de toi était un baiser de haine et de vengeance.

Et maintenant que je suis près de la mort, il n’y a plus que mon âme qui te parle, écoute la ; elle est pure ; elle n’a jamais été qu’à toi ; mon corps seul a été souillé, et déjà elle s’en détache. Adieu, Stephen, adieu !

Je te remercie, car tu m’as bien aimée. Oh ! j’ai encore un espoir : si notre âme vit après notre corps, nos deux âmes se réuniront pour ne jamais se séparer ; elles se confondront en une seule, car elles étaient sœurs.

Si j’en étais sûre, je te dirais de te tuer pour venir me joindre.

Mais non, pense à mes dernières volontés.

Adieu, Stephen ! adieu ! le dernier battement de mon cœur va être pour toi ; ma dernière parole pour toi, ma dernière respiration pour toi ; pour toi aussi ma dernière pensée ; et, si au ciel je puis veiller sur ton bonheur, tu seras heureux : mon âme viendra te voir et te donner des baisers la nuit.

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