CXXXIX MAGDELEINE À STEPHEN

Vous vous êtes conduit comme un homme vil ; je ne l’aurais pas cru : vous m’avez lâchement assassinée, car c’est, au moment où, oubliant pour vous tous mes devoirs, je me donnaisà vous sans restriction, corps et âme, présent et avenir, que vous m’avez foulée aux pieds comme une bête venimeuse.

Malheur à vous ! cet amour pour lequel vous aviez autrefois donné votre vie, vous l’avez perdu ; il n’a pas été remplacé par la haine, ce serait encore de l’amour, mais par le mépris.

Je vous ai cru grand et noble ; vous étiez vil et petit ; ce n’est pas à vous que j’ai donné mon amour, c’est à celui que je vous croyais être.

Vous avez cru m’écraser et j’ai relevé la tête : votre puissance sur moi ne venait que de mon amour.

Votre mépris ne peut me souiller, car c’est vous qui vous êtes rendu méprisable. Ne faut-il pas un grand courage, une sublime énergie pour ramper comme le tigre qui guette une proie !

Et quand vous auriez réussi à me flétrir, quel bien vous en reviendrait-il de n’avoir plus rien à aimer ni à regretter sur la terre ?

Vous êtes un misérable ; ma honte retombe sur vous tout entière. Je vais rentrer dans le monde, où mon âge et ma beauté me rappellent, et vous étoufferez de rage de me voir aimée, admirée et respectée.

Ou, si votre lâche haine me poursuit encore là, si ce mondeme refuse son estime et son respect, eh bien, je me laisserai aller au courant, je deviendrai une femme perdue et méprisable, telle que vous avez voulu me faire ; je remplirai la ville de mon déshonneur et de mon infamie ; je serai citée entre les prostituées, car, moi aussi, j’aime la vengeance ; et, quand vous verrez où sera tombée une créature née pure et chaste, une âme où il y avait du bon et de l’honnête, un cœur assez noble pour comprendre et sentir l’amour tel que vous feigniez de le sentir, mon avilissement et ma dégradation vous humilieront : les crachats que l’on jettera sur moi rejailliront sur vous.

Car c’est vous qui m’avez avilie et dégradée à mes propres yeux ; c’est vous qui avez jeté sur moi le premier crachat. Vous m’avez jeté de la boue ; je vais m’y rouler, et, s’il vous reste assez de cœur pour comprendre ce que je souffrirai, moi si fière, vous aurez de la pitié et des remords.

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