LI

D’abord Hélène voulut répondre à son frère ; elle écrivit une lettre ; mais elle dit : — Il ne la recevra qu’avec celle que je vais écrire pour Maurice, quand je serai morte.

Puis elle se mit à travailler, réchauffant de temps en temps ses mains dans le lit de sa fille. Le lendemain, elle ne mangea qu’un peu de pain, et acheta du charbon avec le peu d’argent qu’elle avait reçu.

Puis elle alla chercher ce qu’avait ordonné le médecin ; mais elle n’avait pas assez d’argent pour payer, et le pharmacien ne voulut pas lui donner les médicamens à crédit.

Le soir, le médecin arriva ; il toucha l’enfant et secoua la tête.

— A-t-elle pris sa potion ?

— Oui, monsieur, dit Hélène en baissant les yeux.

— C’est prodigieux ! A-t-elle transpiré ?

— Non, monsieur.

— Et elle a pris la potion ?

— Oui, monsieur, dit Hélène en balbutiant. Elle pouvait à peine parler, tant les sanglots l’étouffaient.

Le médecin la regarda fixement. — Madame, dit-il, quand vous voudrez bien suivre mes ordonnances, vous reviendrez me chercher. Je ne reviendrai pas.

Il sortit.

Hélène se jeta à genoux. — Oh ! mon Dieu ! il n’y a plus de pitié dans le cœur des hommes ! Mon Dieu ! ayez pitié de moi !

— Rien… rien… dit-elle éperdue ; elle va mourir !… Oh ! je vais l’étrangler, et ensuite je me briserai la tête contre le mur… Pourquoi ma mère ne m’a-t-elle pas tuée, moi ?…

Et elle se laissa tomber sur le carreau. Au bout de quelques instans, elle se leva. — Oh ! quelle idée ! dit-elle, mon enfant ne mourra pas. Et, se hâtant, elle se plaça devant un miroir cassé, arrangea ses cheveux bruns, chercha un fichu propre qui lui restait. — Oh ! mon Dieu ! disait-elle en pleurant, mon Dieu, s’il allait ne pas me trouver assez belle. Et elle pleurait en tâchant de donner un peu de grâce à sa robe et à sa coiffure, puis elle alla réveiller une petite fille qui logeait près d’elle : — Mon enfant, lui dit-elle, si tu veux passer deux heures près de ma fille, je te donnerai cinq florins à mon retour. Puis elle jeta encore un coup d’œil sur le miroir, et partit en disant : — Comme je suis changée; pourvu qu’il me trouve assez belle. Et elle courut à travers les rues. Toujours courant, elle arriva chez son ancien propriétaire ; les domestiques ne voulaient pas la laisser entrer ; mais il reconnut sa voix et vint au devant d’elle.

Quand ils furent seuls : — Monsieur, dit-elle, me voici, je suis à vous pour une heure ; mais il me faut cinquante florins.

Il voulut dire quelques mots : — Hâtez-vous, monsieur, je n’ai qu’une heure à vous donner ; faites de moi tout ce que vous voudrez.

Étonné, il la regardait : — Oh ! monsieur, ne me refusez pas, dit-elle ; si je vous demande trop, donnez-moi ce qu’il vous plaira ; mais il me faut de l’argent.

Il voulut la faire parler, il n’en put rien tirer ; il la prit dans ses bras, elle se laissa faire ; seulement, en se voyant dans une glace, elle reconnut à son cou à elle un fichu que lui avait donné Maurice; elle l’arracha avec violence et le jeta au feu, puis s’abandonna, et, pâle et froide comme du marbre, elle reçut ses odieuses caresses sans les sentir.

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