LX

L’air est tiède, les arbres sont couverts d’un feuillage tendre et encore transparent. L’herbe est verte et chatoyante comme du velours. Outre le parfum du chèvrefeuille suspendu aux arbres, outre l’odeur des violettes cachées sous l’herbe, on sent une odeur plus incertaine et qu’on ne saurait définir ; c’est celle d’un jeune feuillage.

Maurice est couché sur la mousse semée de violettes, sous les grands châtaigniers, dont le soleil, qui se lève, colore le tronc brun ; à quelques pas de lui jouent dans l’herbe la fille d’Hélène et celle de Pauline.

Mais le soleil s’est élevé graduellement. D’abord les oiseaux se sont réveillés et se sont mis à chanter, secouant à ses doux rayons leurs ailes engourdies par la fraîcheur de la nuit.

Puis il est parvenu presque à son zénith ; alors les oiseaux se sont enfoncés sous la feuillée ; les papillons sont seuls restés voltigeant dans la prairie.

On dirait que le vent, secouant les odorantes guirlandes des églantiers, enlève leurs pétales blancs ou roses, et les balance dans l’air comme de petites nacelles sur l’eau.

Alors Maurice, par une allée d’épais tilleuls, rentre dans la maison ; — en même temps que lui, par un autre chemin, rentrent aussi Pauline et Hélène, qui, toutes deux vêtues de blanc, les bras entrelacés, courent à travers la prairie, et toutes deux l’embrassent en lui souhaitant le bonjour.

Après le déjeuner, le soleil est si ardent qu’on ne peut sortir. Maurice se retire dans son cabinet, et, en fumant par une fenêtre un tabac parfumé, contemple avec un sentiment de joie les murailles du parc, dont il a fait tripler la hauteur, et que dérobent en partie de hauts arbres et du houblon. Lui seul, Hélène, Pauline et les deux enfans sont enfermés, avec quelques domestiques, dans ce séjour enchanté. Personne n’y est admis, ces trois êtres se sont consacré leur vie, et ne veulent plus la gaspiller en en livrant à personne la moindre parcelle.

Tous trois ils s’aiment sans jalousie, et ne se quittent jamais. Ils ont renfermé toute leur vie, toutes leurs pensées, dans l’enceinte des murailles.

Mais le soleil glisse ses feux par la fenêtre. Maurice tire un épais rideau couvert de fleurs peintes, et s’étend mollement sur des coussins.

Alors, tandis que le soleil brûle tout au dehors, un air frais circule dans la retraite de Maurice. — À travers des vitraux colorés, il ne pénètre qu’une lumière douteuse, un jour sombre ; les coussins sur lesquels s’étend Maurice presque nu sont couverts de roses effeuillées. On n’entend aucun bruit du dehors. On oublie le reste du monde pour se livrer à de riantes pensées.

Mais un coin de la tapisserie se lève, et, au son d’une musique douce et sourde, entrent deux femmes vêtues seulement d’une épaisse gaze blanche, leurs robes sont attachées par de larges ceintures tombantes qui dessinent leur taille sans la serrer ; les cheveux d’Hélène tombent en longs anneaux sur son cou, une guirlande de roses jaunes la couronne. Les cheveux de Pauline, parfumés par une branche de jasmin, s’étendent aplatis sur son front ; toutes deux près de Maurice viennent de s’étendre sur les roses, et cachent dans les feuilles parfumées leurs pieds blancs sortis de leurs babouches de velours. Pendant quelques instans, une céleste musique se fait encore entendre, et joue de simples mélodies dont la suave et douce mélancolie fait rêver à l’amour ; puis elle s’affaiblit en même temps que le jour, qui devient encore plus sombre. Maurice couvre de baisers les mains et les pieds, et les cous de ses deux compagnes, qui, chacune à son côté, joignent leurs mains sur ses genoux.

Le jour devient si sombre, qu’on ne distingue qu’à peine les formes ; la musique a cessé, tout rentre dans le plus profond silence. Les roses exhalent des parfums plus pénétrans. Hélène et Pauline tiennent Maurice enlacé dans leurs bras ; leurs trois chevelures se touchent et se mêlent ; les longs cheveux des deux femmes se dénouent et de leurs flots épais inondent Maurice. Leurs ceintures se détachent, la gaze tombe…

À ce moment on ouvre la porte, et Maurice s’éveille.

Une pluie glacée bat les vitres. Un domestique agenouillé devant l’âtre allume le feu.

Maurice secoue les riantes illusions qui le tiennent encore à moitié sous leur charme. Il demande l’heure.

Il est tard, mais Pauline n’est pas encore levée. Il va aller la trouver à sa chambre. Il va lui parler d’Hélène ; peut-être leur vie à tous trois coulera, à l’avenir, entre deux rives fleuries et parfumées.

Mais on parle beaucoup dans la maison; on ouvre les portes, Maurice met sa robe de chambre et ses pantoufles, et s’informe…

Hélène, qui tous les jours se lève avant toute la maison, n’a pas encore paru, quoiqu’il soit tard. On est allé à sa chambre, on n’y a trouvé personne, ni elle ni sa fille. On ne lui connaît aucune raison de sortir par un temps semblable, surtout avec cette enfant. Hélène n’a pas pris son chapeau ; elle est sortie tête nue ; elle a laissé presque toutes ses hardes, ainsi que celles de sa fille.

On sort. — Sur la neige à moitié fondue, on ne voit que quelques pas d’Hélène. Sans doute elle a emporté sa fille dans ses bras.

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FIN

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