Il n’y a qu’un amour dans la vie d’un homme.
La femme peut aimer plusieurs fois, quant à elle ; mais elle n’a qu’un amour à donner, c’est le premier.
Cet amour, c’est le frais parfum de la rose nouvelle fleurie ; — mais, quand elle aime une seconde fois, son amour n’a plus que la saveur que donnent les feuilles séchées des roses à une tisane salutaire, ou des conserves que l’on fait avec les baies écarlates des églantiers ; — il y a quelque chose qui n’a pas de nom, qui est perdu, et qui ne se retrouve jamais.
Sans parler à Maurice de sa rupture avec le comte, Hélène avait quitté la maison qu’elle occupait pour en prendre une beaucoup plus petite et moins coûteuse. Maurice, de son côté, n’avait pas voulu dire à Hélène :
— Il faut congédier le comte.
Il eût cru offenser Hélène en supposant qu’il y eût à lui donner ce conseil ; aussi lui sut-il un gré infini de l’abandon qu’elle fit de la riche maison du comte.
Mais il remarqua, avec une douleur d’autant plus vive qu’il comprit alors qu’Hélène avait irréparablement perdu cette pureté instinctive qui a tant de charmes, il remarqua qu’elle ne songeait nullement à retrancher de sa toilette les colliers, les pendans d’oreilles et les bagues donnés par le comte. Certes, s’il eût été riche, il eût apporté un brillant écrin, et eût arraché et jeté ces importantes babioles.
Mais si l’avilissement dans lequel avait vécu Hélène l’empêchait de comprendre tout ce qu’avait de poignant pour lui l’aspect de ces bijoux, si elle n’avait pas senti un bonheur secret à se séparer sans retour de tout ce qui pouvait lui rappeler l’amour avilissant de Leyen, lui, Maurice, ne pouvait lui demander ce sacrifice d’argent, puisque Hélène n’avait pas trouvé dans son cœur de raison suffisante pour le faire sans qu’il le demandât ! Et, d’ailleurs, il eût craint de la froisser douloureusement en lui faisant comprendre qu’elle manquait de délicatesse, et en lui laissant soupçonner que, malgré son amour, malgré celui de Maurice, il y avait sur elle une flétrissure qui ne se pouvait effacer. La pauvre Hélène prenait trop à la lettre ce que lui avait dit Maurice : L’amour purifie tout comme le feu. Et, si elle songeait quelquefois au passé avec douleur, ce n’était pas surtout pour Maurice, qu’elle ne supposait pas pouvoir rien désirer ni regretter, aimé aussi ardemment qu’elle savait l’aimer, c’était pour elle, pour tout le bonheur qu’elle avait perdu.
Plusieurs fois Maurice la vit devant lui se parer des bijoux donnés par Leyen. Pauvre fille ! c’était pour lui paraître plus belle qu’elle se parait ainsi ; elle était loin de comprendre ce qu’il y avait de rage et de désespoir au cœur de Maurice, quand il la quittait brusquement et passait le reste du jour sans revenir ; car, lui, il l’avait vue couverte de la fange de la prostitution.
Un matin surtout, le désordre de la toilette d’Hélène lui laissa voir sur son bras deux noms entrelacés : celui d’Hélène et celui du comte. « Malheureux ! dit-il, il y a des choses qui ne peuvent pas s’effacer ! »
Et il s’en alla.
La situation d’Hélène, cependant, était triste et embarrassante.
Elle ne recevait plus rien du comte.
D’autre part, comme Maurice lui avait dit : — Tu seras ma femme, elle pensait que c’était à lui à régler, comme il l’entendait, le train et la dépense d’une maison qui devait être commune ; et, dans l’état provisoire où elle se trouvait, elle n’avait qu’à peine modifié ses dépenses habituelles, attendant toujours que Maurice fixât lui-même ce qu’il fallait faire.
Maurice, de son côté, ne voyant pas diminuer les dépenses d’Hélène, crut qu’elle continuait à recevoir l’argent du comte ; qu’elle attendait une occasion favorable pour rompre entièrement avec lui, et qu’elle n’avait quitté sa maison que pour éviter un éclat.
Quand il était loin d’elle, il prenait fermement la résolution d’avoir avec Hélène une explication à ce sujet ; mais, quand ils étaient réunis, et qu’il la voyait si heureuse de l’oubli du passé, si fière de sentir un amour qui lui élevait l’âme, il n’avait plus en lui le courage d’effacer d’un mot cette sérénité qui embellissait le visage d’Hélène ; il se disait :
— Laissons-la heureuse, oublions aussi, et passons encore ce jour dans l’insouciance ; demain, il sera temps de parler.
Mais ce qu’il ne pouvait oublier, c’étaient ces lettres gravées d’une manière ineffaçable sur le bras d’Hélène, et qu’il ne pouvait s’empêcher de regarder.