Ma fille !… ma fille !…
(E. DE VAULABELLE. — Un Enfant.)
Après l’abandon de Maurice, Hélène avait voulu se tuer, et sans doute la timidité et la crainte de la douleur ne l’eussent point arrêtée dans ce projet, si un instinct plus fort que son désespoir ne l’eût impérieusement attachée à la vie, et en pleurant elle donnait le sein à son enfant.
Quand elle fut décidée à vivre, quand son chagrin lui permit de réunir ses idées, elle vendit le peu qu’elle possédait encore, de ses domestiques ne garda qu’une servante, et se réfugia dans une petite maison bien isolée. Là, elle se livra à ses regrets et aux soins que réclamait une petite créature, peut-être la fille de Maurice, sans beaucoup songer à l’avenir, comme un sort misérable ne l’y avait que trop accoutumée, et d’ailleurs ayant de l’argent au moins pour trois ans, à la modique dépense qu’elle s’était imposée. Et aussi elle disait : — Maurice reviendra ; je l’aime trop pour qu’il m’oublie. Et, dans les traits encore informes de son enfant, elle recherchait une ressemblance qui pût l’éclairer elle-même, ressemblance que par momens elle croyait trouver, et qui lui faisait redoubler ses caresses pour sa fille. Souvent elle faisait prendre des renseignemens sur Maurice, et toujours on disait : — Il n’est pas revenu ; on ne peut dire quand il reviendra.
— Oh ! disait-elle, il reviendra, il n’oubliera pas celle qui l’aimait tant.
Et elle attendait le soir pour contempler à la lampe un mauvais portrait de Maurice, qui, le jour, n’offrait qu’une ressemblance très-problématique, mais à la lueur de la lampe, en trouvant certaines ombres, le rappelait assez bien ; puis elle se couchait et s’endormait en disant : — Il reviendra.
C’est ainsi que s’écoulèrent les quatre années que Maurice passa en France. Hélène vécut dans la plus absolue solitude ; seulement elle reçut plusieurs lettres de Leyen, qui descendait aux plus humbles supplications pour qu’elle revînt à lui ; mais Hélène, qui se croyait sanctifiée par le noble amour que Maurice lui avait donné et par celui qu’elle avait ressenti, repoussa ses offres avec courage.
À peu près à l’époque où Maurice rentra en Allemagne, Hélène se trouva ne plus avoir d’argent. Elle congédia sa servante, vendit ses meubles, à l’exception d’un lit, d’une petite table et de deux chaises, et alla s’établir dans une petite chambre, dans un quartier retiré de la ville. Là, le produit de ses meubles suffisait pour la faire vivre quelques mois encore avec sa fille.
— Mon Dieu ! disait-elle, Maurice ne reviendra-t-il pas ! Ô mon Dieu ! ajoutait-elle en joignant fortement les mains, faudra-t-il mourir de faim avec mon enfant ? Si je pouvais seulement le voir quelques instans avant de mourir.
Un jour elle apprit que Maurice était revenu, mais en même temps qu’il était marié.
Elle rentra, égarée, folle, pour tuer son enfant et se tuer après ; — mais la pauvre petite fille lui sourit si tendrement qu’elle se prit à pleurer en l’embrassant. Rien n’ôte l’énergie comme les larmes ; le soir vint ; par habitude elle prit le portrait pour le regarder encore ; mais, saisie d’indignation, elle le déchira. À ce moment on frappa ; un domestique en livrée lui remit une lettre.
Cette lettre était du propriétaire de la maison qu’elle occupait. Cet homme, un des plus riches de la ville, avait été frappé de sa beauté et avait deviné sa pauvreté. Il lui offrait le sort le plus brillant si elle voulait être à lui. Il devait venir le lendemain chercher la réponse.
— Maurice, dit Hélène, Maurice est riche, heureux, marié, et je meurs de faim avec mon enfant, peut-être le sien. Maurice n’a pas daigné s’occuper de moi depuis son retour. Hélas ! ajouta-t-elle, ce n’est pas à son cœur qu’il faut m’en prendre, c’est à mon avilissement. Il m’a assez méprisée pour croire qu’après avoir été à lui, après avoir senti l’amour, je retournerais à la prostitution. Mais avait-il le droit de me mépriser, lui, pour qui, sans un seul regret, j’avais tout abandonné ; lui, pour qui ni sacrifices, ni honte… ni crime, ne m’auraient coûté ; ne devait-il pas voir ce qu’il y avait dans mon âme d’énergie et de noblesse ? Oui, dit-elle, je me prostituerai encore, je serai encore riche et adorée. Il m’oublie pauvre, vertueuse et misérable pour lui ; il entendra parler de moi, riche et infâme ; peut-être son amour se réveillera, et je…
Oui, dit-elle, mais perdrai-je ce noble amour qui m’a rachetée de l’infamie et de la dégradation ? Livrerai-je au culte de Baal un temple consacré par le culte saint du vrai Dieu ? Ouvrirai-je au vice impur un cœur encore plein d’amour, comme un vase qui garde l’arôme d’un parfum céleste ? J’ai perdu Maurice, perdrai-je encore mon amour qui m’élève l’âme, et me fait honorable à mes yeux, d’ignoble que j’étais ?
Justifierai-je l’abandon de Maurice par ma conduite future ? pour qu’un jour il se dise : J’ai bien fait ; pour que moi-même je me dise : Je ne serais plus digne de lui.
Non, dit-elle, je l’aime.
M’eût-il fait plus de mal encore, si une créature humaine en pouvait supporter davantage, je l’aimerais ; il m’a tirée un moment de la boue pour m’initier au bonheur des anges. Il a reçu dans son âme pure mon âme honteusement malade, et il l’a guérie ; il m’a aimée, moi prostituée, moi vendue.
Je l’aime, et cet amour remplira toute ma vie, ou plutôt il sera toute ma vie.
Non, je ne retomberai pas du ciel où il m’a élevée dans la boue dont il m’a tirée ; non, après avoir goûté l’ambroisie, je ne m’enivrerai pas d’un vin grossier : aucun homme ne touchera mes lèvres, encore brûlantes du dernier baiser de Maurice.
Je mourrai de douleur, je mourrai de faim, mais je ne mourrai pas de honte ; je mourrai digne d’être pleurée par lui, et si jamais son regard tombe sur moi, je n’aurai pas à rougir ni à détourner les yeux.
Mes vêtemens pauvres seront un honneur pour moi, que l’on prie à genoux de vouloir bien être riche ; j’en serai fière et heureuse.
Ô mon Dieu ! dit-elle en pleurant, j’ai été trop heureuse, j’ai savouré des délices que votre puissance peut-être ne pourrait faire plus ineffables.
Je dois expier maintenant et mes erreurs et aussi mes joies.
Quand j’aurai longtemps souffert, je croirai avoir payé mon bonheur ; il sera à moi, et je ne jouirai plus de son souvenir avec crainte, comme d’un bien mal acquis.