Comme nous écrivions le LIIe chapitre de ce volume, et que nous rapportions comment Maurice gourmanda Richard, il nous vint en l’esprit, à propos de quelques paroles échappées au premier, un souvenir que nous voulûmes mettre entre deux parenthèses, de sorte que nous traçâmes sur le papier ce signe menaçant (— mais nous pensâmes aussitôt que notre parenthèse serait infiniment trop longue, et nous prîmes le sage parti de la réserver pour un autre moment.
La voici :
— Feu madame de Genlis, entre autres prétentions, avait celle assez étrange d’avoir inventé la rose mousseuse.
Il faut dire à ceux qui ne connaissent pas la rose mousseuse, que c’est peut-être la plus belle variété de rose, après l’églantine.
Son bouton est couvert d’une fine mousse verte, et quand la rose sort de ce bouton, elle étale au soleil la plus fraîche nuance de rose qu’on puisse voir.
Madame de Genlis ne s’arrêta pas en si beau chemin, elle voulut inventer encore, et dans un livre intitulé Maison rustique, elle apprit au monde trois choses :
L’art de fricasser les citrouilles ;
Que J.-J. Rousseau n’a rien fait qui vaille ;
Et enfin, la manière de faire naître des roses noires et des roses vertes.
Un horticulteur de nos amis lut par hasard la Maison rus tique, et se mit dans la tête d’avoir des roses vertes et des roses noires.
Il suivit religieusement les conseils de son auteur.
À savoir : il fit transporter en bonne terre
Un houx,
Un cassis ;
Puis greffa en écusson sur l’un et sur l’autre sujet un rameau de rosier blanc, entoura sa greffe d’étoupe, enferma le houx et le cassis d’un treillis d’épines, défendit sévèrement à sa femme et à ses enfans de fréquenter cette partie du jardin — et attendit.
Or, il fallait le voir avec son air mystérieux et capable, quand il annonçait à ses amis qu’il aurait prochainement à leur montrer quelque chose qui méritait quelque attention.
L’hiver se passa.
Comme l’exemplaire de la Maison rustique qu’il possédait était le seul qui fût dans la ville, il déchira la page où était enseigné le grand secret.
Car pour l’horticulteur il ne suffit pas de posséder, il faut que les autres ne possèdent pas. Un fleuriste de Harlem avait une tulipe. Il passait des journées à contempler sa tulipe.
Chaque jour il y découvrait de nouvelles nuances et de nouvelles beautés.
Quand la fleur était passée, il la déterrait, débarrassait la bulbe des petits cailloux qui l’entouraient, la plaçait dans un endroit sec, et passait l’hiver dans l’espoir du printemps.
Un jour, un autre fleuriste auquel il avait montré sa tulipe lui apprit que la pareille existait à Paris, au faubourg du Temple.
La vie de notre homme fut dès lors empoisonnée. Sa tulipe avait perdu tous ses attraits.
Il partit pour Paris, paya la tulipe trois mille francs, l’écrasa sous ses pieds, et revint heureux.
La sienne était unique.
L’horticulteur, notre ami, vit donc arriver avec une satisfaction inusitée le mois de mai, le mois des roses.
— Il faut faire tapisser à neuf le petit salon, dit-il à sa femme, il viendra du monde voir mes roses, il faudra les recevoir décemment.
Un de ses voisins vint le trouver qui lui dit : « Il m’est fleuri une oreille d’ours qui mérite votre suffrage.
— Je ne méprise pas l’oreille d’ours, dit notre ami. — Mais son voisin s’aperçut qu’il prenait avec lui un ton de supériorité qui ne lui était pas ordinaire.
Au commencement du mois de juin,
Le cassis produisit d’excellent cassis ;
Le houx, de superbes feuilles de houx.
(Soit dit sans manquer au respect que nous professons pour les horticulteurs.)
S’il nous est resté une passion, c’est pour la campagne, pour l’herbe, le vent, le soleil, les arbres et les fleurs.
Nous avons d’abord aimé tout cela par instinct, puis par sagesse. La nature est une bonne amie. Toujours la même, toujours belle.
Et un jour, si quis Deus hæc otia fecerit, nous deviendrons horticulteurs, et nous serons peut-être assez heureux pour donner, nous aussi, notre nom à une rose ou à un œillet.
Après avoir vécu et étudié la vie, c’est le seul désir de gloire qui nous soit resté.
Nous n’avons pas désiré le sort d’Alexandre.
Mais nous portons quelque envie à monsieur Soyer, qui, vieux aujourd’hui, et presque aveugle, sait qu’il n’y a pas en Europe un horticulteur qui ne se fasse un devoir de ranger dans sa collection l’œillet feu Soyer.
Voici pour l’avenir notre ambition. Il est bon de la faire connaître. Elle ne gêne celle de personne ; la terre, l’eau, l’air et le soleil se chargeront de perpétuer notre gloire, et les jeunes filles nous devront les bouquets qui embaumeront leur chevelure.