On annonça Maurice. Hélène le reçut comme si sa visite eût été l’accomplissement d’une promesse. On approcha un fauteuil, mais Hélène fit une place à côté d’elle sur le divan ; Maurice s’assit et lui dit :
— Ma visite est un peu brusquée : j’ai à vous parler.
Hélène répondit par un sourire gracieux et engageant.
Maurice continua :
— Je ne ferai pas d’exorde, je n’emploierai ni détours, ni précautions oratoires ; je vous crois capable de me comprendre.
— Voici déjà l’exorde et les précautions oratoires, dit Hélène.
— Écoutez-moi, continua Maurice, sans remarquer le sourire d’Hélène, j’ai remarqué qu’il y avait en nous quelque chose d’homogène…
— Oh ! monsieur, dit Hélène, vous êtes trop savant.
Maurice ne comprit pas qu’Hélène ne l’interrompait ainsi que pour prendre une contenance et cacher le trouble que lui causaient ses paroles.
Il lui prit la main.
— Ne m’interrompez pas ; nos âmes sont sœurs, il doit y avoir entre elles un lien quel qu’il soit. Je vous demande une affection : amour ou amitié, il me faut une affection de vous.
— Et, dit Hélène, en fixant sur Maurice ses grands yeux, où cette fois il n’y avait plus de sourire, que me donnerez-vous en échange ?
— Mon amour, mon âme, ma vie.
— Si je vous connais bien, comme je le crois, vous m’offrez beaucoup.
— Si vous ne pouvez, poursuivit Maurice, m’aimer de toute votre âme, comme un amant, aimez-moi comme un ami, comme un frère : loin de vous, je sens comme une mutilation, je ne respire pas bien dans l’air auquel votre haleine ne s’est pas mêlée ; la nature est morte partout hors de l’horizon que peuvent parcourir vos regards.
— Mon amitié ! monsieur, dit Hélène, — répondant seulement aux premiers mots de Maurice, qui l’avaient assez frappée pour l’empêcher d’entendre le reste, — mon amitié ! me conseillez-vous donc de partager ainsi mon âme, et pensez-vous que ce soit trop de l’âme tout entière pour l’amour ? Si j’aime un homme, je veux me donner tout entière à lui ; je veux garder pour lui mes pensées, mes regards, mon haleine ; je n’ai rien pour l’amitié ; je ne vis plus pour le reste du monde.
Maurice pâlit.
— Aimez-vous donc quelqu’un ? dit-il ; et il attacha ses yeux mordans sur ceux d’Hélène.
— Je le crois, dit Hélène, si, c’est aimer que de ne plus trouver son cœur dans sa poitrine, et de le sentir battre dans la poitrine d’un autre.
Si c’est aimer que de n’avoir plus d’yeux que pour lui, plus d’oreilles que pour lui ; de voir ses traits devant moi le jour et la nuit ; de ne voir que lui, même quand je me regarde dans mon miroir ; de n’entendre, quand d’autres parlent ou exécutent une musique harmonieuse, que sa voix pénétrante ; de ne me souvenir de rien, que de quelques paroles que je lui ai entendu prononcer.
— Madame ! madame ! dit Maurice avec une voix sévère et un regard sombre, vous jouez là un jeu cruel pour moi et dangereux pour vous, de m’ouvrir ainsi votre âme si ce n’est pas moi que vous aimez.
— Aussi, dit Hélène, est-ce vous que j’aime.
Après ces paroles, elle avait caché son visage dans ses deux mains et sur les coussins du divan, et des larmes abondantes s’échappaient de ses yeux.
Maurice s’était jeté à terre et baisait ses genoux et ses pieds.
Après un long silence, Hélène lui dit :
— Allez-vous-en, revenez plus tard, j’ai besoin d’être seule.
— Quand reviendrai-je ? dit Maurice, qui, autant qu’Hélène, désirait être un peu abandonné à ses pensées.
— Je me mettrai à la fenêtre.