XIV Hélène à son père et à sa mère

Mes chers parens,

Si j’use de ruse avec vous, et si je fuis la maison où je suis née, ne croyez pas que ce soit pour éviter la surveillance de mes parens et pour me livrer à aucun mauvais penchant ; la seule cause qui me porte à une telle extrémité de me jeter seule, sans protection et sans appui, au milieu du monde, est l’éloignement insurmontable que je ressens pour le mariage que vous voulez me faire contracter, et pour l’homme qui ose poursuivre l’exécution de ses projets, quoique je ne lui aie pas fait mystère de ma répugnance et de mes angoisses. Croyez, mes chers parens, que c’est avec des larmes et une douleur profonde que je vous quitte ; mais ce serait un crime à moi de me laisser ainsi engager dans des devoirs qui me sont odieux et que je n’aurais pas la force d’accomplir. Loin de vous, votre fille se conduira toujours sagement et honnêtement dans la retraite et le travail, et son plus grand désir est de pouvoir vous rendre une partie de ce que vous avez fait pour elle ; — surtout ne faites aucune tentative pour me faire revenir ; vous devez penser que ce n’est pas sans de longues réflexions que j’ai pu exécuter une semblable résolution, et sans des motifs irrésistibles : je vous jure sur vos têtes et sur celle de mon frère Henreich, c’est-à-dire sur ce que j’ai de plus cher au monde, — que si vous, ou monsieur le garde général, vous veniez à découvrir ma retraite, on n’aurait pas plutôt passé le seuil de ma porte pour venir me chercher, que je me jetterais par la fenêtre et l’on me trouverait en bas, morte et en lambeaux.

Adieu, mes chers parens ; en partant, tremblante et pleurante, j’ai prié et j’ai béni vous et votre maison ; ne m’accorderez-vous pas aussi votre bénédiction, pour me donner de la force et du courage dans la triste situation où je me trouve ?

Votre fille, bien triste et bien aimante,

HÉLÈNE.

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