XVI Le comte Leyen à Hélène.

Mademoiselle,

Vous êtes bien belle ; je ne suis pas probablement le premier à vous le dire. Depuis le jour où un hasard m’a fait vous rencontrer, je n’ai pas eu d’autre pensée que vous ; tous les plaisirs qui me suffisaient auparavant m’ennuient et me fatiguent ; mon seul plaisir a été de m’occuper de vous.

Une chose surtout m’a frappé ; autour de moi se pressent des femmes en foule : quelques-unes sont belles, toutes sont richement parées ; le satin, les dentelles et l’or rehaussent leur beauté ; leurs cheveux étincellent de diamans ; mais aucune n’a cette beauté angélique, cette suavité de formes, cette virginité dans la voix et le regard, qui font que vous ne ressemblez à aucune femme, que depuis que je vous ai vue, elles sont pour moi moins que des femmes, ou vous plus qu’une femme. Eh bien ! le sort a été envers vous plus qu’injuste, il a été absurde.

Tandis que tant de femmes auxquelles vous êtes si supérieure par votre nature emprisonnent de grands pieds dans de petits souliers de satin, revêtent leur corps déformé des plis ondoyans de la soie, enlacent des fleurs artificielles dans leur chevelure artificielle, il semble d’abord que pour vous, pour vos formes élégantes, il faudrait inventer des tissus plus riches et plus fins ; que pour vos petits pieds le satin est grossier et peut les blesser ; que votre chevelure secoue autour de vous un parfum plus doux que ceux de l’Arabie, et que la nature n’a pas de fleurs assez fraîches pour la couronner.

Bien loin de là, une toile grossière, une coiffure commune semblent s’efforcer de voiler et de dénaturer beauté. Il faut qu’on la devine, averti par ce frémissement que cause la présence d’une divinité.

D’ordinaire, la nature, comme un noble artiste, semble fière de ses chefs-d’œuvre ; elle a soin que tout autour d’eux ajoute à leur éclat et relève leurs avantages. C’est sous un ciel pur qu’elle a fait naître les plus brillans oiseaux, c’est dans les plus belles fleurs qu’elle a caché les plus suaves parfums.

Ce que je vous demande, mademoiselle, c’est de réparer cette sottise du sort, c’est de transplanter une fleur que la nature a pris plaisir à former sous le ciel et dans l’air qui lui conviennent, sans souffrir qu’elle étale ses couleurs, exhale son parfum, et vive sa courte vie, sans que personne la voie et la respire, et se nourrisse de son miel.

Si les diamans doivent être quelque part, c’est sur votre front ; je dis les diamans, parce que c’est ce qu’il y a de plus rare et de plus beau ; je voudrais qu’un pût trouver quelque chose qui ne fût que pour vous, je voudrais vous couronner d’étoiles.

Share on Twitter Share on Facebook