Vous n’avez pas répondu à ma lettre, mademoiselle, c’est que vous ne m’avez pas compris ; vous avez confondu mon hommage avec des hommages vulgaires souvent offensans pour la femme qui en est l’objet. Vous n’avez pas compris que vous aviez fait naître en moi une noble pensée ; que j’ai voulu, non acheter ni payer votre amour, que les trésors de la terre ne pourraient payer, mais avec mon amour vous offrir tout ce que le sort m’a donnée et qui devrait vous appartenir ; car ceux-là doivent être rois et maîtres de la terre et de ses trésors qui ressemblent le plus à Dieu, qui a tout fait ; et jamais les extases de mon imagination ne m’ont fait aussi bien comprendre qu’il est des êtres au-dessus de l’homme, ministres de bonté, chargés de distribuer à chaque homme sa part des libéralités de Dieu, sa part de félicité dans cette vie, que votre courte apparition.
Je vous aime, mademoiselle.
Je n’ai point l’insolence de vous offrir de l’argent pour votre amour, je vous offre mon amour en échange du vôtre. La richesse que je dois au hasard de doit pas plus être un vice à vos yeux que votre pauvreté n’en est un aux miens ; je ne prétends en tirer aucun avantage ; il ne serait pas juste que ce fût pour moi une cause d’exclusion. Si vous n’aimez personne, vous aimerez ; pourquoi ne serait-ce pas moi ? À coup sûr ce ne sera jamais un homme plus passionné. Aimez-moi, non parce que je suis riche. Si vous étiez riche et moi pauvre, je vous aimerais de même, et je n’hésiterais pas à vous l’avouer. Si la fortune ne donne ni vertus ni élévation d’âme, elle ne les ôte pas néanmoins. Je vous aimerais de même, fussiez-vous plus riche que la reine de Saba, et je ne rougirais pas de vos dons. En amour, celui-là est le bienfaiteur qui veut bien recevoir de l’autre.
Répondez-moi un seul mot, dites-moi au moins que mon amour ne vous offense pas, et que vous n’avez pour moi ni haine ni mépris. En ne me répondant pas, jeune, fraîche et naïve comme je vous crois être, vous agissez exactement comme ferait une adroite coquette qui ne voudrait ni faire naître ni faire mourir l’espoir.