XXXVI Un châle vert

— Madame, une lettre.

— Madame, le chasseur de monsieur le comte.

Hélène mit négligemment la lettre près d’elle.

— Faites entrer le chasseur.

Le chasseur était suivi d’une femme qui portait des cartons. Cette femme étala les plus riches châles.

— Madame, dit le chasseur en s’inclinant profondément, j’ai fait placer dans vos écuries un nouvel attelage blanc. Monsieur le comte désire que madame sorte avec aujourd’hui, et aille se promener au parc. La baronne de Soltzbury y sera, et j’ai donné au cocher de madame les instructions de monsieur le comte.

Voici pourquoi il était question de la baronne de Soltzbury.

À la promenade, elle avait ordonné à son cocher de passer devant la voiture d’Hélène, et au moment où les deux voitures étaient près l’une de l’autre, se tournant vers un officier qui l’accompagnait :

— Il est singulier, dit-elle haut, que de pareilles femmes osent paraître au grand jour. Cette femme se croit comtesse, parce qu’elle s’est prostituée au comte de Leyen.

Hélène fit tourner bride et rentra en pleurant.

Le comte fut saisi d’une fureur difficile à décrire.

Il fit ordonner au cocher d’Hélène de couper la voiture de la baronne dix fois dans la promenade, dût-il renverser ses chevaux ; et si les gens de la baronne se plaignaient, de leur donner du fouet au travers du visage.

— Ah ! madame la baronne, disait Leyen, qu’êtes-vous donc, pour qu’Hélène s’humilie devant vous ?

Hélène est belle et spirituelle ; vous êtes laide et sotte.

Vous cachez vos intrigues sous le manteau officieux de votre mariage avec le vieux baron, et Hélène s’est donnée à moi pour nourrir sa mère.

Croyez-vous ne vous être pas prostituée, quand vous êtes entrée au lit du vieillard pour avoir de plus beaux châles et des diamans mieux montés ?

Tandis que la marchande étalait ses châles, Hélène ouvrit la lettre ; et quand elle eut vu la signature, elle la lut rapidement.

— Madame, dit la marchande, voici un cachemire vert ; on n’en voit presque jamais. C’est la couleur du prophète, et tout ce qui s’en fait est vendu dans le pays.

— Laissez-moi, laissez-moi, dit Hélène ; vous reviendrez dans un autre moment.

Tout le monde sortit : Hélène était pâle et tremblante. La lettre qu’elle avait reçue était de son frère Henreich.

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