XXVII

Que celle d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre.

(ÉVANG.)

Hélène fut écrasée à la lecture de cette lettre. Son père mort en la maudissant ! sa mère qui allait mourir de faim en la maudissant !

— Ô mon Dieu ! dit-elle, ayez pitié de moi ; ne me maudissez pas, vous : vous seul savez si je suis criminelle.

Hélas ! ajouta-t-elle, j’aurais dû faire le sacrifice de ma vie, épouser le garde général ; ils auraient été riches, j’aurais peut-être trouvé un peu de bonheur à les voir heureux ! — Que faire ? que faire pour que ma mère ne meure pas de faim ? — Elle resta quelque temps absorbée, les yeux fixés et sanglans ; on eût dit que les pensées qui roulaient dans sa tête allaient la briser et la faire éclater.

Quand elle leva les yeux, le comte était debout devant elle, qui la contemplait avec amour, si l’on peut appeler amour ce que sent un homme qui veut acheter une femme.

— Monsieur le comte, dit Hélène, je suis à vous.

Le comte crut qu’elle délirait.

— Oui, continua-t-elle. Je suis à vous ; ne me regardez pas ainsi avec défiance, j’ai toute ma raison. Je suis à vous, mais à une condition.

— Parlez, parlez ! dit le comte.

— Ma mère meurt de faim ; il faut lui envoyer de l’argent, peu de chose ; de quoi manger, de quoi avoir un asile : qu’elle ne meure pas ainsi en maudissant sa fille.

— Je suis trop heureux, dit le comte.

— Non, je ne vous aime pas d’amour : je vous vends mon corps, c’est tout ce que j’ai à vendre pour donner du pain à ma mère ; il est à vous, vous en ferez ce que vous voudrez.

— Vous m’aimerez, vous vous rendrez à l’amour le plus tendre.

— Je ne veux pas vous tromper, je n’aimerai jamais l’homme qui achète mon corps. Encore une chose ; si je meurs…

— Vous ne mourrez pas ; vous vivrez pour l’amour, pour le bonheur.

— Il est possible que je meure : en ce cas, me promettez-vous de nourrir ma mère ?

— Je le jure !

— Le marché est fait ; vous trouverez en moi une esclave obéissante et résignée ; vous n’entendrez pas une plainte, vous ne verrez pas une larme. Vous m’avez achetée, je suis à vous. Mais partez vite : voici où demeure ma mère.

Le comte lui baisa la main et partit.

— Allons ! se dit-il, je savais bien qu’elle serait à moi.

— Ô mon Dieu ! se dit Hélène en joignant les mains avec force, faites-moi la grâce de mourir.

Share on Twitter Share on Facebook