Nous nous placions nous-mêmes par la pensée dans quelques-unes de ces situations fictives ou réelles que le poëte ou l’historien venait de raconter pour nous. Nous nous faisions un idéal d’amant ou de citoyen, de vie cachée ou de vie publique, de félicité ou de vertu. Nous nous plaisions à combiner ces grandes circonstances, ces merveilleux hasards des temps de révolution, où les hommes les plus obscurs sont révélés à la foule par le génie et appelés, comme par leurs noms, à combattre la tyrannie et à sauver les nations ; puis, victimes de l’instabilité et de l’ingratitude des peuples, condamnés à mourir sur l’échafaud, en face du temps qui les méconnaît et de la postérité qui les venge.
Il n’y avait pas de rôle, quelque héroïque qu’il fût, qui n’eût trouvé nos âmes au niveau des situations. Nous nous préparions à tout, et si la fortune, un jour, ne réalisait pas ces grandes épreuves où nous nous précipitions en idée, nous nous vengions d’avance en la méprisant. Nous avions en nous-mêmes cette consolation des âmes fortes : que si notre vie restait inutile, vulgaire et obscure, c’était la fortune qui nous manquerait, ce n’était pas nous qui aurions manqué à la fortune !