XIII

Je n’avais encore lu que quelques pages, et déjà vieillards, jeune fille, enfant, tout avait changé d’attitude. Le pêcheur, le coude sur son genou et l’oreille penchée de mon côté, oubliait d’aspirer la fumée de sa pipe. La vieille grand-mère, assise en face de moi, tenait ses deux mains jointes sous son menton, avec le geste des pauvres femmes qui écoutent la parole de Dieu, accroupies sur le pavé des temples. Beppo était descendu du mur de la terrasse, où il était assis tout à l’heure. Il avait placé, sans bruit, sa guitare sur le plancher. Il posait sa main à plat sur le manche, de peur que le vent ne fît résonner ses cordes. Graziella, qui se tenait ordinairement un peu loin, se rapprochait insensiblement de moi, comme si elle eût été fascinée par une puissance d’attraction cachée dans le livre.

Adossée au mur de la terrasse, au pied duquel j’étais étendu moi-même, elle se rapprochait de plus en plus de mon côté, appuyée sur sa main gauche, qui portait à terre, dans l’attitude du gladiateur blessé. Elle regardait avec de grands yeux bien ouverts tantôt le livre, tantôt mes lèvres, d’où coulait le récit ; tantôt le vide entre mes lèvres et le livre, comme si elle eût cherché du regard l’invisible esprit qui me l’interprétait. J’entendais son souffle inégal s’interrompre ou se précipiter, suivant les palpitations du drame, comme l’haleine essoufflée de quelqu’un qui gravit une montagne et qui se repose pour respirer de temps en temps. Avant que je fusse arrivé au milieu de l’histoire, la pauvre enfant avait oublié sa réserve un peu sauvage avec moi. Je sentais la chaleur de sa respiration sur mes mains. Ses cheveux frissonnaient sur mon front. Deux ou trois larmes brûlantes, tombées de ses joues, tachaient les pages tout près de mes doigts.

Share on Twitter Share on Facebook