XI

Mais mon âme et mon visage s’assombrissaient à mesure que baissait le jour. Je devenais triste en pensant qu’il fallait regagner ma chambre de voyageur. Graziella s’en aperçut la première. Elle alla dire quelques mots tout bas à l’oreille de sa grand-mère.

« Pourquoi nous quitter ainsi ? dit la vieille femme, comme si elle eût parlé à un de ses enfants. N’étions-nous pas bien ensemble à Procida ? Ne sommes-nous pas les mêmes à Naples ? Vous avez l’air d’un oiseau qui a perdu sa mère et qui rôde en criant autour de tous les nids. Venez habiter le nôtre, si vous le trouvez assez bon pour un monsieur comme vous. La maison n’a que trois chambres, mais Beppino couche dans la barque. Celle des enfants suffira bien à Graziella, pourvu qu’elle puisse travailler le jour dans celle où vous dormirez. Prenez la sienne, et attendez ici le retour de votre ami. Car un jeune homme bon et triste comme vous, seul dans les rues de Naples, cela fait de la peine à penser. »

Le pêcheur, Beppino, les petits enfants même, qui aimaient déjà l’étranger, se réjouirent de l’idée de la bonne femme. Ils insistèrent vivement, et tous ensemble, pour me faire accepter son offre. Graziella ne dit rien, mais elle attendait avec une anxiété visible, voilée par une distraction feinte, ma réponse aux insistances de ses parents. Elle frappait du pied, par un mouvement convulsif et involontaire, à toutes les raisons de discrétion que je donnais pour ne pas accepter.

Je levai à la fin les yeux sur elle. Je vis qu’elle avait le blanc des yeux plus humide et plus brillant qu’à l’ordinaire, et qu’elle froissait entre ses doigts et brisait une à une les branches d’une plante de basilic qui végétait dans un pot de terre sur le balcon. Je compris ce geste mieux que de longs discours. J’acceptai la communauté de vie qu’on m’offrait. Graziella battit des mains et sauta de joie en courant, sans se retourner dans sa chambre, comme si elle eût voulu me prendre au mot, sans me laisser le temps de me rétracter.

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