III UN REPAS DE LUCULLUS

Le dîner, à la villa, avait lieu à six heures précises.

L'emploi du temps était déterminé avec cette régularité presque administrative ou monacale sans laquelle y n'y a pas de labeur possible.

Au coup de gong qui, suivant une habitude indienne, annonçait le moment du repas, les quatre savants, se dirigèrent vers la salle à manger, vaste pièce aux murs tendus de cuir de Cordoue, aux couleurs éclatantes, aux solives toutes de cèdre sculpté et doré.

Georges admira les crédences italiennes chargées d’aiguières de Benvenuto, de vases de Ballin et d'autres maîtres de l'orfèvrerie, les précieuses porcelaines de Wedgwood, de Rouen et de Saxe, les urnes hispano-mauresques à reflets d'or et les modernes grès flambés.

Il y avait là un prodigieux entassement de richesses artistiques et ce ne fut pas sans être quelque peu intimidé par ces splendeurs, qu'il dut prendre place sur une luxueuse chaise incrustée d'ébène, de nacre et de corail d'un mauvais goût admirable et rare.

Les sièges sauvés du pillage du palais de l'empereur du Brésil étaient de ce style dit « rococo portugais », aujourd'hui presque introuvable.

– Vous verrez, dit Bolenski, qui avait pris place à côté de Georges, que ce luxe un peu archaïque n'est nullement incompatible avec les perfectionnements du confortable moderne.

« Vous voyez cette roue dorée qui tourne au-dessus du lustre de Venise aux floraisons polycolores.

– Un ventilateur, sans doute, murmura le jeune homme.

– Oui, c'est bien un ventilateur, mais pas un de ces appareils incommodes qui ne font que remuer l'air vicié et favoriser l'éclosion des microbes, sans aucune utilité réelle pour l'hygiène et pour le bien-être.

« Chacun des rayons de cette roue effuse de l'air glacé provenant d'un flacon d'air liquide placé au centre.

« Ici même, pendant les plus fortes chaleurs, nous jouissons d'une atmosphère pure et fraîche.

« D'ailleurs, tout le service se fait électriquement et les vins montent de la cave dans leurs seaux à glace sur la table même par un petit ascenseur spécial dont cet ovale d'argent que vous prendriez pour un réchaud n'est que la plate-forme ; les mets parviennent de même bouillants des cuisines, au moment précis où ils sont dans toute leur saveur.

Pendant que le Polonais donnait ces explications, Georges parcourait négligemment la carte placée devant lui.

Les plats classiques de la grande cuisine française y voisinaient avec les mets d'un exotisme raffiné, tel que le pâté de murène aux terfas ou truffes blanches de Tunisie, le carry de faisan, les merles au myrte et d'autres raretés gastronomiques.

– Voilà, certes, un repas de Lucullus, dit machinalement Georges.

Pitcher, à ce moment, offrait au jeune homme des tranches de boutargue auxquelles allait succéder une friture italienne de calmars et de crevettes géantes.

– Vous ne croyez pas si bien dire, fit-il en riant, nous avons précisément aujourd'hui un des mets favoris du célèbre gourmand ; des langues de phénicoptères ou pour être plus moderne des langues de flamants roses que, vous le savez, les Romains payaient au poids de l'or.

– Cette friandise doit en effet coûter des sommes folles, le flamant est à la fois très rare et très difficile à tuer. J'ai lu que les Arabes eux-mêmes, si adroits tireurs qu'ils soient, n'en abattaient que rarement.

– C'est fort exact, mais, ces jours derniers, tout un vol de flamants fatigués par la tempête est venu s'abattre sur un des étangs de la forêt, les chasseurs en ont tué une trentaine que Mr. Frymcock, notre cuisinier, s'est empressé de faire acheter.

« Il est, sur ces questions, d'une érudition désespérante.

« Il connaît à fond les livres de Carême sur la cuisine dans l'antiquité et je ne serais pas surpris qu'il ne traduisît lui-même quelque jour le fameux traité du gourmand Apicius, de re coquinaria.

Pitcher avait prononcé ces paroles d'un ton enthousiaste, qui prouvait que, toute science mise à part, il n'était nullement indifférent aux plaisirs de la bonne chère.

– Pourvu, répliqua Georges en riant, qu'il ne s'avise pas de nous servir, comme à Lucullus, des langues de rossignol saupoudrées de perles et de diamants.

– Il en serait fort capable. C'est un homme qu'il ne faut défier d'aucune excentricité.

« Savez-vous qu'un jour il a fait organiser une pêche au requin dans le seul but de se procurer les nageoires d'un de ces squales qui sont un des ingrédients indispensables dans la préparation de la soupe chinoise aux nids d'hirondelles salanganes !

– Ce Mr. Frymcock ne doit pas être un personnage ordinaire.

« Ce que vous me dites là me donne grande envie de faire sa connaissance.

– Ce sera chose facile : comme beaucoup d'artistes, Frymcock est très vaniteux ; un éloge bien tourné lui va droit au cœur.

« Son histoire, d'ailleurs, est peu banale, et je ne crois pas commettre d'indiscrétion en vous la racontant.

« Frymcock est le fils unique d'un authentique lord du comté de Sussex. Il a fait d'excellentes études à l'Université d'Oxford, nul ne doutait qu'il ne devînt un jour une des gloires de la chimie.

« Dès l'âge de vingt ans, il s'était signalé par des articles originaux dans les revues spéciales.

« Brusquement, le vieux lord Frymcock mourut et son fils se trouva héritier d'une colossale fortune.

« Le premier usage qu'il fit de sa richesse fut d'offrir à trente de ses amis un colossal banquet ; les feuilles britanniques s'entretinrent longtemps de cette folie sans exemple dans les annales gastronomiques.

« Le repas fut servi dans un vaste hall transformé pour la circonstance en jardin rempli de fleurs et des arbustes les plus rares.

« C'est à l'ombre de buissons de magnolias, de roses, de myrtes, de jasmins et de lilas que la table avait été dressée. Des oiseaux des îles et des papillons des tropiques avaient été lâchés par centaines dans ces bosquets enchantés.

« Le jeune lord avait voulu que le repas sardanapalesque qu'il offrait à ses amis fût un régal exquis pour tous les sens.

« Rien ne fut négligé pour atteindre ce but.

« Un orchestre nombreux dissimulé dans le feuillage fit entendre une suite de compositions spécialement écrites par les musiciens les plus illustres et appropriées à chacun des mets du fantastique menu.

– Je ne comprends pas très bien, fit Georges Darvel.

– Je m'explique : par exemple, le potage au seigle vert était accompagné d'une délicieuse pastorale presque entièrement écrite pour les flûtes, les guitares et les hautbois.

« Le compositeur avait merveilleusement rendu l'éveil du printemps dans la steppe russe, les grands seigles houlant comme la mer sous la brise d'avril, et les chansons monotones des moujiks célébrant le renouveau en grattant leur balalaïka.

« Le homard à l'américaine débutait par un air de biniou pour finir par le yankee doodle accompagné de la trompette et du banjo, le tout entremêlé et soutenu par la voix puissante de l'orgue, imitant les sifflements du vent et les rugissements de la tempête.

– Et le plum-pudding ? demanda Georges en riant.

– Vous avez tort de rire, repartit gravement le naturaliste, je vous affirme – j'ai été un des heureux convives de ce festin – que l'effet de ces musiques était plus grandiose et plus émouvant que vous ne pouvez le penser…

« Le plum-pudding était rendu par un suave cantique de Noël où se retrouvaient des motifs de notre God save the King et de l'attendrissante romance Home, sweet home.

– Chaque plat était d'ailleurs présenté par un cortège ingénieusement symbolique.

« Des Romains de la décadence précédés des licteurs et des aigles apportèrent le monstrueux turbot cher à Domitien, et des châtelaines gothiques le tournedos de chevreuil annoncé par une sonnerie de cor.

« Même les sucreries et les gâteaux donnèrent prétexte à un défilé de petites Parisiennes aux minois fripons, enfarinés de poudre de riz.

« La trompe d'éléphant, entourée d'une sauce ardemment pimentée, fut offerte par un monarque nègre, dont le cortège était d'une sauvage splendeur.

« Avec le café et les liqueurs, ce furent des somptuosités orientales à faire pâlir les plus riches mises en scène des théâtres de féerie.

« En outre, sur une scène ménagée au fond de la salle, des ballets se succédaient et soulignaient pour les yeux le sens pourtant fort clair des musiques.

« Je ne parlerai pas des vins ; il faudrait pour effleurer ce sujet seulement, tout un volume.

« Cet incomparable festin dura un jour et la moitié d'une nuit ; ce laps de temps en apparence considérable, nous parut à tous à peine suffisant, tant il s'écoula rapidement.

– Je m'étonne d'une seule chose, objecta Georges, c'est que les convives aient pu si longtemps boire et manger sans éprouver les tristes effets de l'intempérance.

– Le cas avait été prévu. Près de chacun des invités, l'amphitryon avait fait placer un petit flacon rempli d'un élixir de son invention.

« Il suffisait de quelques gouttes de cette liqueur, où sans doute les pepsines entraient pour une grande part, pour accélérer la digestion d'une incroyable manière et rendre en très peu de temps leur appétit aux plus repus.

– Admettons cela ; mais ce miraculeux élixir ne devait pas empêcher les fumées des grands vins de vous monter au cerveau ?

– Erreur complète ; pendant tout le repas, chacun a conservé la gaieté la plus enjouée et le sang-froid le plus complet.

– Aucune ivresse brutale n'est venue troubler cette belle solennité gastronomique et cela encore grâce à une autre découverte de master Frymcock.

– Aurait-il trouvé le moyen de supprimer les effets de l'alcool ?

– Presque : voici comment. C'est un fait bien connu dans les pays intertropicaux que l'ingestion d'une grande quantité d'alcool pur suffit à guérir la morsure des serpents.

« Parti de ce fait, Frymcock s'est dit que la réciproque doit être vraie. Avec le venin de certains cobras, il a composé un sérum qui a la propriété de rendre l'organisme momentanément rebelle aux conséquences de l'intoxication alcoolique.

« Dites encore que ce n'est pas un grand homme !

– Je m'en garderais bien ; mais je suis curieux de connaître la suite de ses aventures.

– Je fus quelque temps absent, voyageant dans l'Inde comme je vous l'ai sans doute raconté. Quand je revins, le jeune lord Frymcock était complètement ruiné. Après le banquet auquel j'avais assisté, et qui n'avait pas coûté moins d'un million, il en avait organisé d'autres. En peu de temps, son patrimoine s'était évaporé à la fumée des cuisines.

« Ce n'est pas tout, de lâches calomniateurs avaient répandu le bruit que, dans un de ces festins, il avait servi à ses hôtes les cuisses d'une jeune négresse à la sauce jambouya, dont un explorateur bien connu lui avait donné la recette.

« Je suis sûr que notre ami était innocent ; mais l'opinion publique s'était émue, c'était contre lui un tollé général ; il fut incarcéré sous l'accusation d'anthropophagie, et n'obtint un acquittement qu'avec assez de peine.

« Quand il sortit de prison, les amis qu'il avait si bien régalés lui tournèrent le dos, la populace s'ameutait après lui en le traitant de cannibale.

« Je le rencontrai au moment où il songeait très sérieusement au suicide. Je le réconfortai par de bonnes paroles et, ne doutant pas que ce gastronome éminent ne fût pour miss Alberte une acquisition précieuse, je lui racontait toute l'histoire.

« Elle en rit aux larmes et quelques jours après, comme je l'avais espéré, le jeune lord Frymcock était engagé par elle à des appointements royaux.

« Il fait ce qu'il veut, dépense l'argent qu'il lui plaît et nous fait manger divinement bien…

– Tenez, interrompit Bolenski, en se penchant vers une des fenêtres, le voici justement qui traverse le patio.

Georges Darvel se précipita, s'attendant à voir quelque personnage apoplectique et jovial, comme certains commodores ventrus du caricaturiste Cruikshank.

Il aperçut un être long, maigre et blême, aux lèvres minces, à la face mélancolique, marchant à pas comptés, comme sous l'empire d'une grave préoccupation.

– Il ne répond nullement, n'est-ce pas, fit le Polonais, à l'idée que vous vous en étiez faite ; il tient le milieu, croirait-on, entre le lord spleenétique et le pierrot des pantomimes macabres.

« Au demeurant, il est d'un joyeux caractère, et c'est un bon compagnon, en dépit de sa mine.

« Georges alla se rasseoir, se promettant de lier connaissance, dès que l'occasion s'en offrirait, avec l'extraordinaire lord cuisinier.

Il s'aperçut alors que le capitaine Wad n'avait encore touché à aucun des mets auxquels Ralph Pitcher et l'ingénieur Bolenski avaient fait largement honneur.

Le capitaine se sustentait de la façon la plus bizarre.

Devant lui se trouvait une sorte de surtout chargé d'une infinité de minuscules flacons, à côté, une assiette remplie d'une gelée rose et une carafe pleine d'un liquide violet.

Le capitaine prenait un fragment de gelée, y ajoutait une goutte du contenu d'un des flacons et absorbait le tout avec appétit. De temps en temps, il remplissait son verre du liquide violet, et avait encore recours aux mystérieux flacons avant de se désaltérer.

Georges Darvel considérait ce manège avec stupéfaction ; le capitaine s'en aperçut.

– Je vois, dit-il, que ma façon de dîner vous intrigue, elle n'a pourtant rien de merveilleux. Je suis simplement plus logique.

« Je mange comme tout le monde mangera sans nul doute, dans un siècle ou deux, peut-être bien avant cela.

« Cette gelée rose est un aliment complet, chimiquement préparé, ne contenant que les azotes et les carbones nécessaires à l'organisme, sans aucune des matières inutiles ou nuisibles que renferment les substances animales ou végétales.

– Piètre régal, ne put s'empêcher de dire le jeune homme.

« J'avoue que je préfère pour mon compte les savants menus de master Frymcock.

– Vous pourriez vous tromper : grâce à un flacon, je donne à ma vitalose – c'est le nom de l'aliment complet – le goût que je veux.

Et Georges lut avec stupeur sur les étiquettes :

essence de truite, essence de pré-salé, essence de perdrix, essence de saumon, essence d'amandes, etc., etc… Tous les mets possibles se trouvaient là résumés, quintessenciés en quelques gouttes de parfum.

– Tenez, continua le capitaine Wad avec un tranquille sourire, voulez-vous goûter une aile de faisan ?

Et il tendit au jeune homme une cuillerée de gelée sur laquelle il avait laissé tomber une goutte d'essence.

Avec une grimace d'hésitation, Georges Darvel avala la suspecte confiture et fut obligé de déclarer que l'illusion du goût était complète.

– De même, reprit le capitaine, je donne à volonté à ce liquide violet le goût du cru qu'il me plaît.

– Vous devez être très fier d'une telle avance sur le commun des mortels.

– Je n'y mets, croyez-le bien, nulle vanité.

« C'est, à vrai dire, une expérience que je fais sur moi-même. Je suis persuadé qu'une telle alimentation doit influer avantageusement sur l'économie.

« Avec un système de nutrition aussi complet et aussi peu volumineux, le rôle de l'estomac se borne à peu de chose, il devient inutile et de hardis chirurgiens ont déjà prouvé à maintes reprises qu'on peut parfaitement s'en passer.

« Pour moi, par suite d'une graduelle transformation, l'homme, dans quelques milliers d'années, sera débarrassé de l'encombrant appareil digestif devenu sans objet, et comme il ne se servira guère plus de ses bras et de ses jambes…

– Voudriez-vous insinuer que l'homme futur deviendra une sorte de pur esprit ?

– Non, mais le cerveau atteindra chez lui un volume considérable et suppléera aux autres organes…

La conversation se retrouvait maintenant sur le terrain scientifique. Tous y prirent part avec animation ; Georges Darvel sut prouver à ses nouveaux amis qu'il possédait des connaissances étendues et solides dans toutes les branches du savoir.

Puis on parla longuement de Robert. Avec une émotion qu'il n'essayait pas de dissimuler, Georges raconta combien cet aîné, qu'il ne voyait qu'à de longs intervalles, avait montré de bonté pour lui.

Sitôt qu'il avait gagné quelque argent, il avait placé au nom de Georges un petit capital suffisant pour lui permettre d'achever ses études, et il n'avait jamais cessé de veiller de loin sur lui avec la plus vive sollicitude.

– Robert, dit le jeune homme, a mené à bien une entreprise surhumaine qui rendra notre nom éternellement glorieux. Mais je vous avoue que je ferais bon marché de toute cette gloire pour que mon frère fût encore parmi nous.

– Homme de peu de foi, s'écria Bolenski avec exaltation, puisque je vous ai dit que nous le retrouverons ! Vous avez vu de quoi nous sommes capables ! Douteriez-vous de nous ?

– Je sais, répliqua Georges avec vivacité, que, si un projet, aussi chimériquement audacieux doit être mené à bien, ce ne peut être que par vous. Pardonnez-moi ce moment de découragement.

– Ne vous excusez pas. Je connais mieux que personne ces alternatives d'espoir et d'incertitude. Mais vous ne savez encore qu'une faible partie de nos découvertes…

– Allons voir la planète Mars ! interrompit brusquement Pitcher.

– J'y pensais, murmura le capitaine Wad.

Quelques instants plus tard, tous quatre étaient installés sur une des hautes terrasses de la villa, d'où ils voyaient le ciel d'un bleu de velours endiamanté d'une poussière d'étoiles.

Autour d'eux, la forêt aux grandes ombres bleues aux pâleurs d'argent bruissait, doucement rafraîchie par la rosée du soir qu'elle semblait boire avidement ; il y avait comme un frémissement de bien-être, après l'accablante chaleur du jour, dans la chanson des feuillages nocturnes, en ce grand silence à peine troublé de loin en loin par le rire d'une hyène ou les abois d'un chien des douars perdus dans la brousse.

Pas un nuage, en ce ciel éblouissant et calme, au fond duquel la rouge planète semblait briller d'un éclat plus vif, se distinguant nettement des autres astres.

Longtemps, ils la contemplèrent en silence, pendant qu'à cette même minute Robert Darvel regardait peut-être lui aussi la vieille Terre qui, pour lui, n'était plus – comme l'était Mars pour eux-mêmes – qu'une petite lumière clignotant dans l'immensité des cieux.

Tout à coup, Georges étendit la main.

– Une étoile filante ! s'écria-t-il. En voici une autre, encore une autre.

« C'est un véritable feu d'artifice céleste !

Maintenant, elles apparaissaient par dizaines, traçant une brève ligne de flamme pour s'éteindre tout à coup.

– Dans mon pays, dit le Polonais, les paysans croient que ce sont des âmes délivrées du purgatoire et qui se rendent au paradis.

– La vérité, fit Georges, est tout aussi poétique. Les étoiles filantes que l'on observe à époque fixe sont des fragments de vieux astres émiettés et détruits, après avoir erré des années, des siècles peut-être ; sollicitées par une force adverse dans le noir infini des espaces interastraux, elles finissent par tomber dans le rayon de l'attraction terrestre. Au frottement de notre atmosphère, elles deviennent incandescentes, ce qui les fait prendre pour des étoiles ; en réalité, ce sont de simples bolides.

– Qui sait, dit Pitcher, l'un d'eux a peut-être été lancé par un des volcans de Mars.

– Pourquoi pas ?

La discussion se poursuivit sur les bolides.

– Pourquoi l'homme ne pourrait-il pas voyager d'astre en astre, puisque ces masses inertes le faisaient bien ? N'en avait-on pas recueilli qui pesaient jusqu'à quatre cents kilogrammes, et cependant, leur texture était intacte, ils n'avaient été ni détériorés ni fondus par l'épouvantable frottement des couches atmosphériques.

N'était-ce pas là une preuve de plus de la possibilité des communications interastrales. Le jour où l'homme serait parvenu à animer un projectile quelconque d'une vitesse initiale suffisante, le problème serait résolu.

À l'exposé de ces hypothèses déduites avec une logique vigoureuse, Georges se reprenait à espérer.

Ce ne fut que très tard que les quatre savants se séparèrent. En dépit de toutes ses préoccupations, Georges, une fois rentré dans sa chambre, ne tarda pas à succomber au sommeil. Il rêva que son frère regagnait la Terre dans un char fantastique, attelé d'étoiles filantes, et chargé de curiosités martiennes.

Enfin, la fatigue finit par l'emporter sur ce travail latent des cellules cérébrales, et il dormit sans autre songe jusqu'au jour.

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