XL

Une heure après, Taïmaha et moi nous quittions Papeete, qui déjà s’était endormi ; cette dernière soirée du Rendeer était terminée, et quantité de marins du bord étaient entrés dans les cases tahitiennes, entourés de bandes joyeuses de jeunes femmes. Un souffle plein de séduction et de trouble sensuel passait sur ce pays, comme après les soirs de grandes fêtes.

Mais j’étais sous l’empire d’émotions profondes, et j’avais pour l’instant oublié jusqu’à Rarahu…

Elle était rentrée seule, elle, et m’attendait en pleurant dans notre chère petite case, où je devais, dans la nuit, revenir pour la dernière fois.

Nous marchions côte à côte, Taïmaha et moi ; nous suivions d’un pas rapide la plage océanienne. La pluie tombait, la pluie tiède des tropiques ; Taïmaha insouciante et silencieuse laissait tremper la longue tapa de mousseline blanche qui traînait derrière elle sur le sable.

On n’entendait dans ce calme de minuit que le bruit monotone de la mer, qui brisait au large sur le corail.

Sur nos têtes, de grands palmiers penchaient leurs tiges flexibles ; à l’horizon les pics de l’île de Moorea se dessinaient légèrement au-dessus de la nappe bleue du Pacifique, à la lueur indécise et embrumée de la lune.

Je regardais Taïmaha, et je l’admirais ; elle était restée, malgré ses trente ans, un type accompli de la beauté maorie. Ses cheveux noirs tombaient en longues tresses sur sa robe blanche ; sa couronne de roses et de feuilles de pandanus lui donnait la nuit un air de reine ou de déesse.

Exprès, j’avais fait passer cette femme devant une case déjà ancienne, à moitié enfouie sous la verdure et les plantes grimpantes, celle qu’elle avait dû jadis habiter avec mon frère.

Connais-tu cette case, Taïmaha ? lui demandai-je…

Oui ! répondit-elle en s’animant pour la première fois ; oui, c’était celle-ci la case de Rouéri !…

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