Il était nuit close quand le cortège bruyant fit son entrée dans Papeete, au milieu d’un grand concours de peuple.
Au bout d’un instant nous nous retrouvâmes marchant côte à côte, Rarahu et moi, dans le sentier qui menait à notre demeure. Un même sentiment nous avait ramenés tous deux sur cette route, où nous avancions sans nous parler, comme deux enfants boudeurs qui ne savent plus comment revenir l’un à l’autre.
Nous ouvrîmes notre porte, et quand nous fûmes entrés nous nous regardâmes…
J’attendais une scène, des reproches et des larmes. Au lieu de tout cela, elle sourit en détournant la tête, avec un imperceptible mouvement d’épaules, une expression inattendue de désenchantement, d’amère tristesse et d’ironie.
Ce sourire et ce mouvement en disaient autant qu’un bien long discours ; ils disaient d’une manière concise et frappante à peu près ceci :
Je le savais bien, va, que je n’étais qu’une petite créature inférieure, jouet de hasard que tu t’es donné. Pour vous autres, hommes blancs, c’est tout ce que nous pouvons être. Mais que gagnerais-je à me fâcher ? Je suis seule au monde ; à toi ou à un autre, qu’importe ? J’étais ta maîtresse ; ici était notre demeure : je sais que tu me désires encore. Mon Dieu, je reste et me voilà !…
La petite fille naïve avait fait de terribles progrès dans la science des choses de la vie ; l’enfant sauvage était devenue plus forte que son maître et le dominait.
Je la regardais en silence, avec surprise et tristesse ; j’en avais une immense pitié. Et ce fut moi qui demandai grâce et pardon, pleurant presque et la couvrant de baisers.
Elle m’aimait encore, elle, comme on aimerait un être surnaturel, que l’on pourrait à peine saisir et comprendre.
Des jours doux et paisibles d’amour succédèrent encore à cette aventure d’Afareahitu ; l’incident fut oublié, et le temps reprit son cours énervant…