III

Quelques jours après mon retour on me remit une lettre couverte de timbres américains qui m’arrivait par la voie d’Overland. L’adresse était mise de la main de mon ami Georges T., de Papeete, que les Tahitiens appelaient Tatehau.

Sous l’enveloppe je trouvai deux pages de la grosse écriture enfantine et appliquée de Rarahu, qui m’envoyait son cri de douleur à travers les mers.

RARAHU A LOTI

Papéuriri, le 15 janvier 1874.

Cher ami,

ô mon petit Loti, ô mon petit époux chéri, ô toi ma seule pensée à Tahiti, je te salue par le vrai Dieux.

Cette lettre te dira ma tristesse pour toi.

Depuis le jour où tu es parti, rien ne donne la mesure de ma douleur. Jamais ma pensée ne t’oublie depuis ton départ.

O mon ami chéri, voici ma parole : ne pense pas que je me marierai ; comment me marierais-je, puisque c’est toi qui es mon époux. Reviens pour que nous restions ensemble dans mon pays de Bora-Bora, pour que nous nous installions dans mon pays de Bora-Bora – Ne reste pas si longtemps dans ton pays, et sois-moi fidèle.

Voici encore une parole : reviens à Bora-Bora ; peu importe que tu n’aies pas de richesses, je ne demande pas beaucoup, ne t’occupe pas de cela, et reviens à Tahiti.

Ah ! quel contentement d’être ensemble, Ah ! quelle joie de mon cœur d’être réunie de nouveau à toi, ma pensée, et mon amour de chaque jour.

Ah ! cette pensée chérie que tu sois mon époux. Ah ! combien je désire ton corps pour manger beaucoup de toi !…

Voici une parole sur mon séjour à Papéuriri : je suis sage, je reste bien tranquille. Je me repose bien chez Tiahoui-femme, elle ne cesse d’être bonne pour moi – ô mon petit ami (et mon grand chagrin) je te fais savoir en finissant cette lettre, jamais maintenant je suis bien, je suis retombée dans ce mal que tu savais sur moi cesser, ce même mal, pas un autre ; et cette maladie, je la supporte avec patience, parce que tu m’as oubliée ; si tu étais près de moi, tu me soulagerais un peu…

Et maintenant, la Tiahoui et les siens te rappellent leur amitié pour toi, et ses parents aussi et moi aussi ; jamais tu ne seras oublié des hommes de mon pays…

J’ai fini mon discours, je te salue, mon petit époux chéri.

Je te salue ô mon Loti,

De Rarahu ta petite épouse,

RARAHU

J’ai donné cette lettre à Tatehau œil-de-rat, je ne sais pas bien le nom de l’endroit où je dois t’écrire.

Je te salue, mon ami chéri,

RARAHU.

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