V

… Dix mois ont passé.

Le Rendeer, parti le 1er novembre de San-Francisco, se dirige à toute vitesse vers le sud. Il s’est engagé depuis deux jours dans cette zone qui sépare les régions tempérées des régions chaudes, et qui s’appelle : zone des calmes tropicaux.

Hier, c’était un calme morne, avec un ciel gris qui rappelait encore les régions tempérées ; l’air était froid, un rideau de nuages immobiles et tout d’une pièce nous voilait le soleil.

Ce matin nous avons passé le tropique, et la mise en scène a brusquement changé ; c’est bien ce ciel étonnamment pur, cet air vif, tiède, délicieux, de la région des alizés, et cette mer si bleue, asile des poissons volants et des dorades.

Les plans sont changés, nous revenons en Europe par le sud de l’Amérique, le cap Horn et l’océan Atlantique ; Tahiti est sur notre route dans le Pacifique, et l’amiral a décidé qu’il s’y arrêterait en passant. Ce sera peu, rien qu’une relâche de quelques jours, quand après, tout sera fini pour jamais ; mais quel bonheur d’arriver, surtout après avoir craint de ne pas revenir !…

… J’étais accoudé sur les bastingages, regardant la mer. Le vieux docteur du Rendeer s’approcha de moi, en me frappant doucement sur l’épaule :

Eh bien, Loti, dit-il, je sais bien à quoi vous rêvez : nous y serons bientôt, dans votre île, et même nous allons si vite que ce sont, je pense, vos amies tahitiennes qui nous tirent à elles… !

Il est incontestable, docteur, répondis-je, que si elles s’y mettaient toutes…

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