C’était une nuit sans lune. – Cependant à la lueur diffuse des étoiles on distinguait nettement les forêts suspendues au-dessus de nos têtes, – et les tiges blanches des grands cocotiers penchés.
Nous avions pris sous l’impulsion du vent une vitesse imprudente, au moment de passer en pleine nuit la ceinture des récifs ; les Maoris exprimaient tout bas leur frayeur, de courir ainsi par mauvais temps dans l’obscurité.
La pirogue, en effet, toucha plusieurs fois sur le corail. Les redoutables rameaux blancs écorchèrent sa quille avec un bruit sourd, mais ils se brisèrent, et nous passâmes.
Au large, la brise tomba ; – subitement le calme se fit. Ballottés par une houle énorme, dans une nuit profonde, nous n’avancions plus ; il fallut pagayer.
Cependant la fièvre était passée ; j’avais pu me lever, et prendre en main le gouvernail. – Je vis alors qu’une vieille femme était étendue au fond de la pirogue ; c’était Hapoto, qui nous avait suivis pour aller parler à Taïmaha.
Quand la mer se fut calmée comme le vent, le jour était près de paraître.
Nous aperçûmes bientôt les premières lueurs de l’aube ; – et les hauts pics de Moorea, qui déjà s’éloignaient, prirent une légère teinte rose.
La vieille femme étendue à mes pieds était immobile et semblait évanouie ; mais les Maoris respectaient ce sommeil voisin de la mort, que lui avaient donné la fatigue et l’excès de la frayeur ; ils parlaient bas pour ne point la troubler.
Chacun de nous procéda sans bruit à sa toilette, en se plongeant dans l’eau de la mer. – Après quoi nous fîmes des cigarettes de pandanus en attendant le soleil.
Le lever du jour fut calme et splendide ; tous les fantômes de la nuit s’étaient envolés ; je m’éveillais de ces rêves sinistres avec une intime sensation de bien-être physique.
Et bientôt, quand j’aperçus Tahiti, Papeete, la case de la reine, celle de mon frère, au beau soleil du matin ; – Moorea, non plus sombre et fantastique, mais baignée de lumière, je vis combien j’aimais encore ce pays, malgré ce vide qui venait de se faire pour moi, et ces liens du sang qui n’existaient plus ; – et je pris en courant le chemin de la chère petite case où Rarahu m’attendait…
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