… Nous cheminions, Rarahu et moi, en nous donnant la main, sur la route d’Apiré. C’était l’avant-veille du départ.
Il faisait une accablante chaleur d’orage. – L’air était chargé de senteurs de goyaves mûres ; toutes les plantes étaient énervées. De jeunes cocotiers d’un jaune d’or dessinaient leurs palmes immobiles sur un ciel noir et plombé ; le morne de Fataoua montrait dans les nuages ses cornes et ses dents ; ces montagnes de basalte semblaient peser lourdes et chaudes sur nos têtes, et oppresser nos pensées comme nos sens.
Deux femmes, qui paraissaient nous attendre au bord du chemin, se levèrent à notre approche et s’avancèrent vers nous.
L’une qui était vieille, cassée, tatouée entraînait par la main l’autre, qui était encore belle et jeune ; – c’était Hapoto, et sa fille Taïmaha.
– Loti, dit humblement la vieille femme, pardonne à Taïmaha…
Taïmaha souriait de son éternel sourire en baissant les yeux comme un enfant pris en faute, mais qui n’a pas conscience du mal qu’il a fait et n’en éprouve aucun remords.
– Loti, dit Rarahu en anglais, Loti, pardonne-lui !
Je pardonnai à cette femme, et prit sa main qu’elle me tendait. – Il ne nous est pas possible, à nous qui sommes nés sur l’autre face du monde, de juger ou seulement de comprendre ces natures incomplètes, si différentes des nôtres, chez qui le fond demeure mystérieux et sauvage, et où l’on trouve pourtant, à certaines heures, tant de charme d’amour, et d’exquise sensibilité.
Taïmaha avait à me remettre un objet bien précieux, – une relique d’autrefois, – le pareo de Rouéri que, sur sa demande, je lui avais confié.
Elle l’avait blanchi et réparé avec un soin extrême. Elle parut émue cependant, et une larme trembla dans ses yeux quand elle me remit ce souvenir – qui allait retourner avec moi là-bas, à Brightbury d’où je l’avais emporté.