XIII

Pour la quatrième fois l’hivernage est arrivé. Des journées accablantes, sans un souffle dans l’atmosphère. – Le ciel, terne et plombé, se reflète dans une mer unie comme de l’huile, où s’ébattent de nombreuses familles de requins ; et, tout le long de la côte d’Afrique, la ligne monotone des sables prend, sous la réverbération du soleil, une teinte éclatante de blancheur.

Ce sont les jours des grands combats de poissons.

Tout à coup la surface molle et polie se ride sans cause appréciable sur une étendue de plusieurs centaines de mètres, s’émiette et grésille en petites gouttelettes tourmentées. – C’est un banc immense de fuyards qui détale à fleur d’eau de toute la vitesse de ses millions de nageoires, devant la voracité d’une troupe de requins.

Ce sont aussi les jours aimés des piroguiers noirs, les jours choisis pour les traversées longues et les courses de vitesse.

Dans ces journées où il semble que, pour nos organes européens, cet air lourd ne soit plus respirable, que la vie nous échappe, que le mouvement nous devienne impossible ; – dans ces jours-là, si vous dormez sur quelque bateau du fleuve, à l’ombre d’une tente mouillée, – souvent au milieu de votre pénible sommeil du midi, vous serez éveillé par les cris et les sifflements des rameurs, – par un grand bruit d’eau qui fuit, battue fiévreusement à coups de pagaye.

– C’est une bande de pirogues qui passe, une joute furieuse sous un soleil de plomb.

Et la population noire est là, debout, qui s’est éveillée et attroupée sur la plage. – Les spectateurs excitent les concurrents par un grand vacarme, – et là-bas, comme chez nous, les vainqueurs sont accueillis par des battements de mains, les vaincus par des huées.

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